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plus anciennes et des plus estimées de toute la société des Etats-Unis. Comme au temps de La Fayette, et par une sorte de concordance entre deux époques d’idéalisme pratique, l’appel des élites entraîna l’adhésion des multitudes. La pensée suscita l’action. Le sentiment se réalisa dans le domaine des faits : Et l’on put voir, une fois de plus, jusqu’où peut aller la puissance impondérable, incalculable de l’esprit humain, dominant le cours des événements, ordonnant la masse des intérêts et des passions, réglant la marche des choses.

Dès le 3 août 1914, le consul de France a la Nouvelle-Orléans recevait d’Atlanta, en Géorgie, une lettre par laquelle un jeune étudiant de l’Institut militaire de l’Etat de Virginie, nommé Kiffin Yates Rockwell, témoignait pour notre pays d’une admiration touchante et déclarait vouloir servir dans notre armée. « Si votre pays, disait ce jeune Américain, peut accepter mes services, j’amènerai avec moi mon frère qui désire, lui aussi, combattre pour les couleurs françaises. »

Lorsque le signataire de cette lettre, sous-lieutenant de l’escadrille La Fayette, attaquant seul quatre aviateurs allemands à des hauteurs de quatre mille mètres, périt dans ce combat inégal et fut inhumé en terre alsacienne où il repose, près de Thann, depuis le 23 septembre 1916, le chef de cette escadrille fameuse par tant d’exploits annonça ce malheur en ces termes : « Le plus brave et le meilleur d’entre nous n’est plus. »

Ceux qui ont eu l’honneur de connaître personnellement ce héros, qui était le plus simple des camarades et le plus cordial des amis, aiment à rappeler la grandeur d’âme qui s’exprimait naturellement dans ses propos familiers. « Si la France devait être vaincue, disait-il, j’aimerais mieux mourir. » Il disait aussi : « Je paie pour La Fayette et Rochambeau. » Guéri d’une première blessure, il écrivait a un ami, en août 1916, un mois à peine avant sa mort héroïque : « Plus que jamais j’ai la volonté de vivre, mais non plus d’un point de vue égoïste. Cette guerre m’a enseigné beaucoup de choses : je veux vivre maintenant pour faire tout le bien qu’il me sera possible d’accomplir. D’ailleurs, si je dois être tué pendant la guerre, je n’ai pas peur de mourir, et je sens bien qu’il n’y a point de plus belle mort. « Il résumait sa pensée par cette formule : « The cause of France is the cause of all mankind. La cause de la France est la cause de toute l’humanité. »