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jardins et de vignes, sembleraient peut-être assoupies par la douceur de cette heure lumineuse et de ce paysage plein de fleurs et de fruits, de rayons, et d’ombres, si le canon, qui tonne aux alentours, ne troublait par un grondement continu de gros coups sourds ou par de brusques explosions saccadées, la paix de ces campagnes longtemps déshabituées des tumultes de la guerre. Le vol des avions plane au-dessus des forêts, des champs, de la rivière, et surveille de tous côtés l’horizon champêtre. On reconnaît le ronflement des moteurs américains, très reconnaissable à une certaine intensité de vibration qui emplit comme d’un bruit d’ailes palpitantes le ciel sonore.

Et voici le tableau que m’offre d’abord ce petit village de la Brie champenoise, tout pareil, avec ses murs ombragés de treilles, ses toitures inclinées et ses pignons pointus, aux paysages que les peintres du temps de Jean-Jacques allaient chercher dans le décor de collines boisées et de vallées verdoyantes parmi lesquelles l’Ourcq et la Vesle traversent des bouquets d’aulnes et des clairières de genêts. Un vieux paysan, portant à la boutonnière de sa veste le ruban vert et noir des anciens combattants de 1870, est assis sur un banc de bois, devant sa porte, à côté d’un tout jeune soldat de l’armée des Etats-Unis. Le contraste entre ce vétéran de l’Année terrible et ce néophyte de la croisade libératrice ne forme pas seulement une antithèse pittoresque pour les yeux du spectateur ; c’est aussi un symbole qui nous montre en quelque sorte, par deux incarnations vivantes, la continuité d’une histoire où les générations nouvelles viennent faire la relève de ceux que l’âge réduit à l’inaction. Il y a quelque chose de paternel dans l’accueil de ce vieillard qui pourrait être l’aïeul de cet enfant rose et blond, accouru des bords lointains de l’Atlantique afin de sacrifier sa jeunesse, son sang, sa vie en l’honneur du commun idéal.

J’ai voulu savoir de quelle partie de l’Amérique venait le jeune ami du vieux paysan. Il est né dans une contrée agricole, au Kentucky, non loin des bords du fleuve Ohio, parmi les laboureurs qui cultivent des vallées fertiles au pied des monts Alleghanys. Dès sa première enfance, son éducation a été faite par l’exemple du travail qui, autour de lui, produisait la richesse. Il est fier de son propre pays, en pensant, selon la doctrine américaine, que richesse oblige et que ses ancêtres,