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libérale ; ils préféraient garder, dans la vieille Eglise, le contact avec la masse des fidèles ; ils acceptaient d’y coudoyer leurs confrères évangéliques en vue d’approcher et peut-être de gagner les ouailles de ces confrères. L’anarchie spirituelle qu’avait introduite l’État dans l’Église, et qu’il y maintenait, était propice aux progrès des libéraux. Un jour de 4878, le député Page fit voter par le Grand Conseil un projet de loi qui devait, dans sa pensée, accélérer encore leur victoire. Jusque-là, les chaires de la ville, seules, étaient ouvertes indistinctement aux pasteurs de toutes croyances ; mais dans la campagne, chaque pasteur restait, en définitive, maître de sa paroisse. Un article du projet Page stipulait qu’à la campagne aussi les chaires seraient de temps à autre, et d’une façon normale, occupées par d’autres pasteurs que le pasteur titulaire : c’était livrer toutes les chaires de l’Église à toutes les doctrines et à toutes les négations. Le projet Page causa grand tumulte : le 6 octobre, par 8 706 non contre 2 591 oui, le peuple genevois le repoussa. Le libéralisme, jusque-là victorieux, avait rencontré un point d’arrêt. A Genève même, de dimanche en dimanche, chaque chaire de la Réforme étalait les variations de la Réforme : les âmes rurales échappèrent à cette délicate épreuve. Chaque chaire de campagne demeura soit évangélique, soit libérale, suivant les convictions personnelles du pasteur : les disputes théologiques des citadins ne troublèrent pas la paix des champs.


II

D’autres agitations, non moins violentes, bouleversaient l’Église catholique ; elles ne provenaient pas, ici, de divisions intestines, mais d’une intervention d’Etat, l’une des plus singulières et des plus malheureuses qu’enregistre l’histoire religieuse.

L’écho de certaines hostilités politiques, auxquelles çà et là donnait lieu la définition de l’infaillibilité papale, avait gagné la Suisse. Antoine Carteret, fabuliste et tribun, dirigeait alors le radicalisme genevois. C’était un homme sans nuances, fanatiquement acharné contre le papisme, et persuadé que l’idée même de liberté contraignait de combattre cette doctrine, hostile à la liberté. Il était de ces logiciens, assez nombreux dans certains parlements, pour qui l’intolérance à l’endroit du catholicisme paraît s’imposer, comme un moyen de venger et de faire