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REVUE LITTÉRAIRE

LA VÉRITABLE MANON LESCAUT[1]

Il y a, dans la Louisiane, auprès du lac Pontchartrain, le tombeau de Manon. Mais il y a ainsi, par le monde, les tombeaux de maintes héroïnes poétiques et filles de l’imagination, cénotaphes de souvenirs ; et le tombeau de Manon ne prouve pas que cette folle ait existé. Dans le roman, c’est le chevalier des Grieux qui l’enterre : « Il ne m’était pas difficile d’ouvrir la terre dans le bleu où je me trouvais. C’était une campagne couverte de sable. Je rompis mon épée pour m’en servir à creuser ; mais j’en tirais moins de secours que de mes mains. J’ouvris une large fosse. J’y plaçai l’idole de mon cœur, après avoir pris soin de l’envelopper de tous mes habits, pour empêcher le sable de la toucher. Je ne la mis dans cet état qu’après l’avoir embrassée mille fois, avec toute l’ardeur du plus parfait amour. Je m’assis encore près d’elle. Je la considérai longtemps. Je ne pouvais me résoudre à fermer sa fosse. Enfin, mes forces recommençant à s’affaiblir, et craignant d’en manquer tout à fait avant la fin démon entreprise, j’ensevelis pour toujours, dans le sein de la terre, ce qu’elle avait porté de plus parfait et de plus aimable. » Il parait que c’est impossible. A l’époque de Manon Lescaut, les alentours de la Nouvelle-Orléans, vers le lac Pontchartrain, n’étaient qu’un vaste marécage, non pas un terrain sablonneux ; et, — dit M. Chinard,

  1. Histoire de la fondation de la Nouvelle-Orléans (1717-1799), par le baron Marc de Villiers, avec une préface de M. Gabriel Hanotaux (Paris, Imprimerie national ; — Cf. L’Abbé Prévost et la Louisiane, étude sur la valeur historique de Manon Lescaut, par M. Pierre Heinrich (Librairie Augustin Challemet, 1907) ; et L’abbé Prévost, sa vie, ses romans, par V. Schrœder, librairie Hachelte, 1898).