Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/750

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le roi de France et l’Empereur, avec qui justement il traitait de son côté, et en garde les sénateurs. Il dit qu’il y envoyait une femme, sa femme, dont il était fier pour sa beauté et ses atours. Elle s’en allait avec sa mère et sa belle-sœur, en famille, comme une touriste qui veut voir Saint-Marc ; elle descendait le Pô en coche d’eau, avec ses secrétaires, ses dames d’honneur, ses pages, son chapelain et son ténor. On jouait au scartino, on devisait, on écoutait chanter, tandis qu’au fil de l’eau se déroulaient paresseusement les collines et les plaines. Mais dans la longue file des coffres empilés sur les barques qui entraient dans la lagune, sous les camoras de tabis cramoisi, les vestiti de brocart d’or, les escoffions emperlés, les aigrettes de joyaux, il y avait des instructions enfouies et dissimulées. Et, tous les jours, des courriers partaient de Milan, la rejoignaient, faisaient sa religion, modifiaient son attitude.

Elle parut enfin devant les délégués de la Seigneurie, dans la Sala del Collegio. Elle parla, et tandis que les yeux se fixaient sur ses bijoux célèbres, sur le Spigo ou le Marone, des paroles insinuantes tombaient des lèvres de la jolie ambassadrice. On entendait vaguement des choses comme celles-ci : le roi de France pourrait bien descendre en Italie, et pousser jusqu’à Naples ; l’empereur Maximilien pourrait bien ne pas refuser plus longtemps à Ludovic le More le titre de duc de Milan ; celui-ci était persona grata auprès des deux ; d’ailleurs, pratiquement. il gouvernait la Lombardie sous le nom de son neveu… L’arc effilé de ses lèvres décochait des traits fort pénétrants. Les sénateurs ne s’étaient jamais vus à pareille fête. Ils comprirent, ce jour-là, pourquoi la cour de Milan attirait tant les étrangers :

Il ne faut s’ébahir, disaient ces bons vieillards…

Mais, au vrai, ils ne s’ébahirent pas. Ils admirèrent la petite ambassadrice, l’applaudirent, la comblèrent d’honneurs : ils ne firent pas tout ce qu’elle voulait. Hélène, elle-même, n’aurait pas changé un vote dans l’auguste assemblée. On tomba, du moins, d’accord sur son charme, et il n’est point sûr qu’elle ne préférât point cela. Toujours est-il qu’elle ne manque jamais, à la fin de chaque dépêche, de dire la robe qu’elle portait, et qu’elle revint ravie de ses vieux auditeurs.

On a conservé quelques-unes des lettres qu’elle écrivait