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^’Étranger en Italie. Ce crime, qui était celui de tous les partis vaincus, alors, ou de tous les princes jaloux de leurs voisins, n’eût pourtant point paru pire que tant d’autres appels aux « Barbares, » s’il n’avait eu des suites plus graves. Il lui arriva de déchaîner la plus grande invasion qui eût bouleversé la Péninsule depuis l’antiquité. On comprend donc l’animosité soulevée contre lui par cette imprudence. Mais la forme que prit cette animosité est tout à fait inintelligible. Car le punir d’avoir appelé l’Etranger en Italie en livrant à ce même Etranger les villes qu’il ne possédait pas encore, protester contre l’invasion en acclamant l’envahisseur, voilà une politique si peu rationnelle, ou même raisonnable, qu’il faut bien en chercher la cause ailleurs que dans la raison !

Il faut la chercher dans un sentiment : la jalousie, l’énorme jalousie qu’avait excitée son insolente fortune. On ne savait à quoi attribuer le prodige d’un bonheur si constant. La chute du More était la fin d’un sortilège oppressant pour la raison et pour la critique. L’Italie était désensorcelée et, fût-ce par la main de l’Etranger, elle respirait plus à l’aise. Plus tard, on en jugea autrement. A la réflexion, il parut que l’Etranger, quels que fussent ses mérites, était insupportable, n’étant pas au même point de civilisation ; qu’on s’était montré bien dur pour un homme généralement doux aux autres, aux faibles, qui avait employé des moyens de civilisé plus que de barbare, qui avait devancé son temps dans bien des choses, et fait honneur à l’Italie.

Ludovic le More devint, alors, pour tout son siècle et pour toute l’Europe, le plus pitoyable exemple des vicissitudes humaines. De génération en génération et de pays en pays, on se passa son histoire, comme une légende. Sa captivité et sa mort, dignes d’un philosophe, lui mirent une ineffaçable auréole. Les poètes, en France comme en Italie, contèrent son infortune en des complaintes qui devinrent populaires. Enfin, à la longue, justice lui fut rendue.

Mais, dans les premiers temps, sa chute et sa misère n’en furent pas moins une joie pour presque tous les souverains. Jalousie, imprévoyance, ambition, tout cela est d’humanité courante et de peu de mystère. Ce qui est mystérieux, c’est que cette jalousie se soit déchaînée si tard… Là encore, on retrouve la coïncidence avec la disparition de Béatrice… Il semble que tant