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mettre les rieurs de leur côté. Pourtant le plus grand nombre se tourne encore vers l’officier, attendant de lui quelque chose qui ne vient pas : l’officier reste immobile et muet. Alors, c’est le grand lâchage. On chante en cadence : « Allons-nous-en ! Allons-nous-en ! Et plus vite que ça ! » Et ils s’en vont, comme ils le disent : nous restons seuls, l’officier et moi.

Les huit officiers, colonel y compris, décident d’obéir et de rejoindre les forces annoncées par la dépêche. Je pars avec cinq d’entre eux pour Dolgintzewo, sur une locomotive mise à notre disposition par le chef de gare. Le colonel et les autres officiers, un instant arrêtés par les soldats qui refusent de les laisser partir, sont ensuite relâchés, puis désarmés par des employés de chemin de fer qui ont besoin d’armes à feu, et ce n’est que tard dans la matinée qu’ils nous rejoignent.


Le 15/28 janvier.

Après avoir passé trente-six heures sur une chaise dans une salle bondée de soldats, je puis rejoindre vers la soirée un échelon du 54e régiment de Cosaques du Don. Je n’ai rien gagné à attendre. Parmi les « libres fils des steppes, » les uns sont plus insolents, les autres moins, mais tous se ressemblent en ceci que pour eux l’honneur est un vain mot. Ils se laisseront docilement désarmer : ils sont mûrs pour l’opéra-comique.

Cette nuit, couché sur la paille. Deux chevaux du Don agitent leurs têtes intelligentes au-dessus de la mienne, qui ne vaut plus grand’chose après deux nuits sans sommeil. Je rêve que je campe avec les héros célèbres et les bouillants coursiers des anciennes ballades du Don. Ce n’est qu’un rêve. La clarté du matin me montre la réalité : les visages défaits des hommes, les croupes efflanquées des bêtes.

Arrêt à Khortitsa. On parlemente avec Alexandrovsk. Les Bolcheviks ne consentent à laisser aux Cosaques que les armes qui sont leur propriété privée ; pour les armes fournies par le gouvernement, elles sont limitées à vingt-quatre fusils par escadron.

Ces scènes m’inspirent un tel dégoût que je quitte ces bandes de Cosaques et m’aventure seul chez les maximalistes.