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près 3 500 hommes, — forment un ensemble d’une valeur militaire exceptionnelle. Troupes superbes, animées des plus beaux sentiments, liées par l’honneur, par le serment d’obéissance, par les plus solides traditions militaires.

Elles sont aux prises avec un adversaire qu’une propagande savante a rendu fou de haine et qui ne pardonne pas. Car cette guerre est menée avec une férocité qu’on ne rencontre qu’entre frères ennemis. Un officier, le fils du chef de gare de Martzof, près de Taganrog, vient de trouver son père affreusement mutilé par les gardes rouges. Le crime de ce malheureux semble avoir été de porter sur soi le portrait de son fils en uniforme d’officier de l’armée de volontaires. Le fils a tué les prisonniers qu’il venait de faire, et depuis ce jour, — des deux côtés, — on n’en fait plus : on achève par miséricorde les camarades blessés qu’on doit laisser sur le champ de bataille.

Incorporé dans une compagnie d’officiers du régiment de Kornilof, je dors avec eux dans une grande chambrée, entre mon vieil ami, le khorounji Gevlitz, et un capitaine de cavalerie.


LE GÉNÉRAL KORNILOF

Ce qu’il y a de plus admirable en lui, c’est son âme. C’est par-là qu’il excelle, plus que par les qualités du stratège ou du politicien. Son honnêteté immaculée, sa bravoure légendaire, sa confiance dans l’avenir de la Russie et dans sa tâche historique, voilà sa force. Par la confiance instinctive qu’il inspire, par l’ascendant irrésistible qui émane de lui, il a, plus qu’aucun autre, séduit, gagné, entraîné les jeunes héros de la Russie. Rarement chef a vu se grouper autour de lui autant de braves, au cours d’une carrière plus aventureuse. A soixante ans passés, il a gardé toute l’ardeur de la jeunesse. C’est un des plus beaux représentants de la valeur militaire russe, ne trouvant d’attrait qu’aux tâches excessives, soulevé parfois de soudaines colères, incapable de résister à l’emportement de la passion.

Personne en Russie ne semblait moins désigné pour mener à bien les opérations de la guerre moderne qui exigent avant tout d’être prudemment pesées et mûrement réfléchies. Mais aussi personne n’a su comme lui enflammer les jeunes cœurs et galvaniser les patriotes circonspects. Tant il est vrai que les