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des mers et de disputer le passage de l’Océan aux innombrables « tramps » de la Grande-Bretagne ?

Non seulement nous n’armions pas nos bateaux marchands, mais, à la veille des hostilités, nous enlevions l’armement à ceux qui en possédaient un. J’ai vu opérer une de ces commissions de remise du matériel existant sur les croiseurs auxiliaires du type Ville de la Ciotat. En recensant sur les terre-pleins les vieux canons modèle 1885, les circulaires de bronze aux formes surannées et tout cet attirail démodé d’écouvillons, de seaux à incendie, de mèches à canons, un sourire de pitié s’esquissait sur les lèvres des membres de la Commission. Qu’elle était routinière, cette Marine, pour conserver si longtemps dans ses inventaires pareille nomenclature d’objets préhistoriques ! Au feu les écouvillons ! A la fonderie les circulaires de bronze ! Au pilon l’âme des lourdes pièces de 14 m/m ! A la vieille ferraille tous ces articles rouillés et poussiéreux ! Que pouvait faire une Ville de la Ciotat contre un simple torpilleur moderne ? A quoi bon dresser des canons sur cette torche que le moindre coup de 65 millimètres pouvait embraser ? Nous ne prévoyions, ni les uns ni les autres, les destinées glorieuses de ce paquebot qui sombra dans la Méditerranée le 24 décembre 1915 en combattant avec des armes analogues à celles dont nous allions le priver. Aussi, le jour où l’Allemagne déclencha la guerre sous-marine, a-t-il fallu organiser à l’improviste la défense des navires marchands.

Le long du douloureux calvaire de la flotte de commerce, calvaire jalonné par les naufrages, il ne reste plus sur l’immense tombe muette même une épave pour prier. Il est cependant possible de trouver des points de repère, des « caps, » comme disent nos marins, permettant d’en fixer les étapes. Une première période s’étend du 2 août 1914 au 3 novembre 1915, jour du naufrage du Calvados. Pendant ces quinze mois, nos navires de commerce sont les victimes passives des sous-marins allemands. Avec l’arrivée de l’amiral Lacaze à la rue Royale commence l’ère de la résistance héroïque. Quoique faiblement armés, nos braves capitaines répondent coup pour coup à la canonnade allemande. Le 31 janvier 1917 nous entrons dans la dernière phase, la plus horrible. Les Allemands, jetant le défi à tous les droits de l’humanité, coulent sans avertissement toutes les coques passant à la portée de leurs torpilles : cependant nos