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nom. Quel plus bel hommage à la mémoire vivante du colonel Tchernetzof ?

Dans les maisons des Cosaques après un an de révolution, partout le portrait du Tsar. La renommée elle-même de Kerensky et la gloire de Kalédine n’ont pu chasser du pusillanime et faible cœur cosaque l’amour pour le souverain légitime !


Olginskaya-Stanitza, le 13/26 février.

Un officier nouvellement arrivé de Nowo-Tcherkask me donne des nouvelles du fameux 6e régiment, revenu au Don avec ses armes, et si bien fêté devant la cathédrale par les autorités du Don. Une fois encaissé le cadeau de 400 roubles par tête, il a reçu l’ordre d’avancer contre les Bolcheviks de Kamenolomnia. Sur l’heure, et sans autres explications, le régiment a fait demi-tour et regagne ses foyers… J’avais raison de me méfier !

Notre odyssée recommence. La division Gherchelman doit aller vers le Nord chercher des chevaux pour l’armée. Je l’accompagne. En attendant le cheval qu’on vient d’acheter pour moi, je passe quelques heures chez deux officiers de cet otriad, le prince Ghiemscheief et le comte Bucholz. Je savoure ce bout de dialogue :

— Faites-moi le plaisir, prince, de me dire quelle heure il est.

— Je crois, baron, qu’il est tout juste quatre heures et demie, répond incontinent Ghiemscheief.

Et ainsi de suite. Cette affectation à conserver les formes de la plus parfaite courtoisie est du plus singulier effet dans ce milieu et quand on songe que ces gentilshommes, qui accentuent les signes extérieurs de la politesse et mettent leur coquetterie à souligner leurs privilèges, sont de toutes parts entourés par une population hostile qui prendrait à les torturer un plaisir féroce.

Dans les villages en apparence les plus calmes, couvent les plus terribles haines. Je croise un traîneau monté par deux hommes :

— Dis-moi, Cosaque, quelle distance y a-t-il d’ici à la stanitza ?

— Je ne suis pas un Cosaque, je suis un paysan. Celui-ci