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Il se demande quelle notion du génie américain se dégage des phases par lesquelles a passé la nation, des luîtes qu’elle a soutenues, des décisions qu’elle a prises dans les moments critiques qu’elle a traversés.

Ce problème reçoit communément certaines solutions qui séduisent par leur clarté, mais qui ne résistent pas à un examen attentif des conditions historiques du développement des États-Unis.

Tels professent, par exemple, que les États-Unis se présentent à nous comme une matière première radicalement multiple et diverse, que disciplina une forme douée d’une puissance morale incomparable : l’esprit puritain. Considérez, dit Carlyle, ces pauvres gens qui, en 1620, s’embarquèrent sur le Mayflower. Ils n’étaient rien, mais ils portaient en eux une idée ; et voici qu’à un corps sans cohésion ils infusèrent une âme. L’œuvre de ces hommes, plus faibles que des enfants, est devenue grande et puissante, parce que l’idée qu’ils apportaient était une chose vraie.

L’Amérique, créée, dirigée dans son développement, orientée dans ses destinées, gouvernée, aujourd’hui encore, par le puritanisme : n’est-ce pas là une thèse brillante, saisissante, particulièrement séduisante pour les esprits élevés qui aiment à voir la forme discipliner la matière ?

Mais l’histoire, qui, certes, reconnaît et exalte le rôle merveilleux du puritanisme dans la formation de l’Amérique, ne saurait, selon M. Wilson, se contenter de ce facteur pour en expliquer le développement. La thèse de Carlyle suppose que le principe d’unification fut unique, et que les éléments sont demeurés sans influence sur le principe. Or, en fait, l’Union américaine, avec ses États de l’Est, du Sud, de l’Ouest, du Nord et de l’Extrême-Ouest, n’est certainement pas une simple extension de la Nouvelle-Angleterre. L’esprit puritain est un facteur essentiel de la vie américaine, ce n’est pas le seul. Une réaction s’est produite, de la matière sur la forme. Les populations immigrées, venues de points de plus en plus divers, et menant des existences extrêmement différentes, ont exercé une influence sur l’esprit américain, et ont déterminé en lui une évolution. Cet esprit n’est pas une simple survivance de l’esprit des pèlerins qui partirent de Delft en 1620 : c’est l’œuvre vivante et complexe des Américains.