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modèles de dignité morale ; elles forment un majestueux répertoire des grands traits généraux de la nature humaine, mais de ces traits pris en soi : les figures demeurent impassibles. Même dans les légendes des saints, l’émotion est souvent absente. On en a un exemple à Reims même, dans les tympans de l’ancien portail, qui se voient, nous l’avons dit, à la façade du transept Nord. Il y a là, dans la vie de saint Nicaise, des sujets extrêmement dramatiques ; on voit le saint évêque martyrisé par les Vandales (étrange sort de cette église ! Reims finit comme elle a commencé, par une invasion des Barbares). Le prélat est arraché de son palais par la soldatesque et conduit au supplice ; sa sœur au désespoir se jette sur le chef de bande et lui donne un soufflet. Ces scènes de violence sont représentées par l’artiste sans l’ombre de violence. Les gestes, les expressions sont empreints d’un calme trop frappant pour n’être pas volontaire. L’auteur, qui est déjà d’une habileté consommée, s’impose une règle sévère de goût, de discrétion. Il croirait déchoir s’il consentait à une pantomime excessive, s’il troublait par des mouvements déréglés l’ordre et la paix des lignes. Le bourreau, dans la scène de la décollation, fait son œuvre avec tranquillité, comme on représente saint Martin qui coupe son manteau. Il y a là une esthétique certainement très sûre d’elle-même, un parti pris de modération, qui est sans doute, comme on le verra, fortifié par l’étude de certains modèles antiques ; et l’œuvre tout entière, avec ses étages paisibles de frises harmonieuses, rappelle en effet les théories des bas-reliefs des sarcophages.

Si, de cette façade presque « antique, » qui a dû être, dans le projet primitif, la grande façade de la cathédrale, on se transporte devant celle qui lui a été préférée, quel changement ! On mesure alors la marche des idées. Le portail de la Vierge est à cet égard une révélation. Les personnages s’animent ; tous, au lieu de demeurer immobiles comme des cariatides, ou comme des colonnes dont ils devraient jouer le rôle, sortent de leur torpeur et de leur rigidité. On ne voit plus autour de la Vierge les prophètes, assemblée de pensées, de méditations solitaires, longue avenue de rêveries au bout desquelles éclôt la figure d’un type féminin idéal. Cette grande vue morale est remplacée par des épisodes historiques, par des anecdotes empruntées à la vie de la Vierge. Les figures se relient par des