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REVUE LITTÉRAIRE

FRÉDÉRIC II ET LES DÉBUTS DE LA FOURBERIE ALLEMANDE[1].

En 1775, âgé de soixante-trois ans, après trente-cinq ans de règne et onze années avant sa mort, Frédéric II rédigeait l’avant-propos de l’Histoire de mon temps. C’est pour la postérité qu’il écrit ; et ladite postérité remarquera, dans cette histoire, maints récits de traités « faits et rompus : » il prétend avoir de bonnes raisons pour « excuser sa conduite. » Ces raisons, les voici.

Premièrement, il aperçoit quatre occasions où les souverains sont dans le cas de balancer leurs alliances. Supposez que votre allié manque à remplir ses engagements… Alors, n’êtes-vous pas libre ? Vous l’êtes ! Mais alors, ce n’est pas vous qui avez rompu le traité : c’est votre allié. Puis, supposez que votre allié « médite de vous tromper… » N’avez-vous pas le droit, si le rôle de dupe vous déplaît, de prendre les devants ? Cette deuxième occasion de rompre le traité est moins nette que la première : elle a l’inconvénient, et la dangereuse commodité, de laisser à votre estime les projets du camarade ; vous risquez de n’être pas exactement impartial. Troisième occasion : c’est « une force majeure qui vous opprime et vous force à rompre vos traités ; « ici, vous êtes un farceur. Et la quatrième occasion : « l’insuffisance des moyens pour continuer la guerre ; » vous êtes un farceur, décidément.

Il y a du farceur, en Frédéric II ; mais, en outre, il est

  1. La morale politique du grand Frédéric, d’après sa correspondance, par le commandant Weil (librairie Plon). — Cf. Le machiavélisme de l’Antimachiavel, par Charles Benoist (même librairie).