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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/215

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mauvaise part si je me trouvais par-là forcé de me donner à l’Angleterre. » Et, ce même 2 août 1740, il écrit au comte de Truchsess : « S’il est vrai que la Cour d’Angleterre souhaite sincèrement de m’attacher à ses intérêts, il est naturel que j’attende d’elle les propositions sur ce qu’elle voudra faire pour l’amour de moi… Car, sachant que la France a épousé mes intérêts à l’égard du premier article, on ne saurait prétendre avec raison m’en détacher si l’on ne s’avise pas de m’offrir de plus grands avantages… » Voilà son négoce. Mais, s’il écrit au cardinal de Fleury, c’est la tendresse qui l’inspire, une tendresse dont il feint de modérer difficilement l’effusion : « Vous trouverez peut-être ma lettre longue et bavarde ; mais je vous écris avec la même sincérité que vous m’avez écrit. Une ouverture de cœur exige l’autre. Je souhaiterais que vous pussiez voir dans le fond du mien, vous y liriez tous les sentiments, etc. » Fleury n’était pas sûr de sa lecture. Il se vantait de voir, dans son miroir magique, les actions de tous les princes de l’Europe : non pas celles du roi de Prusse. Et Jordan le raconte à Frédéric II, lequel, pour ainsi parler, se rigole.

Dans ses lettres à Fleury, comme en général dans ses lettres aux souverains et ministres étrangers, il multiplie à l’excès les protestations de sincérité, de bonhomie. Le jour qu’il va plus loin que jamais dans le mensonge, il affiche sa « loyale candeur. » Il ressemble à ces imposteurs qui, sentant le péril d’être démasqués, ne cessent de vous répéter : « Je ne vous mens pas, » dans le moment qu’ils sont assez loin de la vérité pour en avoir, en quelque sorte, le vertige. Il n’a pas le vertige, lui. Son effronterie le préserve de toute défaillance ; et il est parfaitement le maître de son badinage, quand il écrit à Fleury déconcerté, le 30 mai 1741 : « Je vous dispute à présent, M. le cardinal, d’être meilleur Français que je le suis ! » Et des promesses, des caresses, des câlineries.

Il écrit au colonel de Camas : « Vous devez cacher avec un soin extrême ce que vous savez de mes desseins… » Le principal de ses desseins : la conquête de la Silésie. Or, l’auteur de l’Antimachiavel aurait à établir ses droits sur la Silésie. Frédéric II, là-dessus, se dépêche : « La Silésie est, de toute la succession impériale, le morceau sur lequel nous avons le plus de droit… » Il ajoute : « et qui convient le mieux à la maison de Brandebourg. » Cela, le 6 novembre 1740. Le lendemain, Podewils, ministre d’État, répond aux « idées » du Roi : « Pour la question de droit, il faut que je dise avec un profond respect à Votre Majesté que, quelques prétentions bien fondées que la