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le prince royal est un jeune homme et que les chimères de la jeunesse l’ont séduit ? Certes, il est jeune ; mais il n’est plus un adolescent, il a vingt-sept ans passés : et il a vingt-huit ans, lorsque nous le voyons, devenu roi, maitre absolu de sa fourberie. Veut-on que cet ingénu parfait se soit, du jour au lendemain, transformé en un fourbe accompli ? L’on dira qu’au surplus Voltaire le connaissait à merveille, au temps de l’Antimachiavel. Sans aucun doute. Mais aussi Voltaire aime mieux n’avoir pas été la dupe d’un sournois. Plutôt, Voltaire se donne les gants d’avoir été plus malin que son prince, et politique plus avisé : « Je jugeai que mon Salomon ne s’en tiendrait pas là. Son père lui avait laissé soixante et six mille quatre cents hommes complots d’excellentes troupes ; il les augmentait et paraissait avoir envie de s’en servir à la première occasion. Je lui représentai qu’il n’était peut-être pas convenable d’imprimer son livre précisément dans le temps même qu’on pourrait lui reprocher d’en violer les préceptes. Il me permit d’arrêter l’édition… » Ce n’est pas tout à fait cela et, tardivement, Voltaire ne manque pas d’arranger un peu les choses. D’ailleurs, il avoue que Frédéric II « n’était pas fâché dans le fond du cœur d’être imprimé. » C’est le 12 octobre 1740 que Voltaire signe l’avertissement de l’Antimachiavel ou Essai de critique sur le Prince de Machiavel. Or, le 12 octobre 1740, Frédéric II était roi depuis quatre mois et demi et, depuis quatre mois et demi, trompait la France, l’Angleterre, la Russie, l’Autriche et préparait la conquête de la Silésie, régnait en somme à l’inverse des principes antimachiavéliques.

M. Charles Benoist semble adopter la conclusion de Voltaire ; et, s’il admet que « la fin du machiavélisme, pour un prince de la qualité de celui-ci, aurait été d’écrire l’Antimachiavel, » néanmoins il accorde au jeune auteur de l’Antimachiavel une certaine bonne foi, celle-ci « Antimachiavéliste et machiavéliste tour à tour, antimachiavéliste comme prince, machiavéliste comme roi, antimachiavéliste comme philosophe, machiavéliste comme chef d’Etat, machiavéliste bien plus souvent, bien plus profondément, bien plus spontanément qu’antimachiavéliste, le contraire absolu de lui-même dans son livre et dans sa vie, il s’acquitta magistralement de réfuter sa réfutation. » Je le crois un machiavéliste constant, dès sa jeunesse et dès l’Antimachiavel et dans ce livre déjà.

L’argument de M. Charles Benoist, le voici : « Sachons, dit-il, dater nos justices, suivant, le précepte de Michelet. Nous partons de 1740, et Frédéric vécut jusqu’en 1786. L’annexion de la Silésie est de 1741 ;