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Sa meilleure amie, qui, bien entendu, est une personne du meilleur monde, l’invite à une soirée très sélect pour y rencontrer un M. de Jussieux, diplomate longtemps retenu hors de France par des postes extrême-orientaux et qui revient de son lointain exil ! Nonotte ne résiste pas au plaisir de retrouver M. de Jussieux. Elle et lui se sont tant aimés, d’un si chaste amour, il y a vingt-sept ans ! Sûrement ils se seraient mariés, sans les parents de Jussieux qui se sont méfiés. Ce Jussieux, quand elle y songe, c’est le seul homme qu’elle ait jamais aimé ! Quelle émotion de se revoir après vingt-sept ans !

Cet acte est terriblement long et je ne serais pas étonné qu’il durât une grande heure d’horloge. A l’entracte, une nouvelle magnifique nous attendait : le bruit se répandait dans les couloirs que les Britanniques étaient entrés à Ostende. La nouvelle était-elle officielle ? Nous avons maintenant une telle habitude des bonnes nouvelles que nous ne doutions pas de sa véracité. Nous escomptions les conséquences de ce brillant succès. Ostende fut une des bases principales de cette guerre sous-marine qui devait mettre l’Entente à la merci de l’Allemagne. Après Ostende, ce sera Bruges, dont les jours, ou les heures, sont comptés. Et ce seront encore d’autres cités rendues à elles-mêmes. Avec quelle émotion nous songeons à l’épique aventure de ce jeune roi Albert rentrant à la tête de ses armées dans ses États que lui avait fait perdre son respect de la foi jurée !… Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ; le rideau s’est relevé : il s’agit de savoir comment se passera la rencontre de Nonotte et de Jussieux, qui ne se sont pas revus depuis vingt-sept ans.

C’est très scabreux de se revoir après vingt-sept ans. On aurait, à moins, le droit d’avoir changé. Lui, peut encore être un vieux beau ; mais elle, a des chances pour n’être qu’une ruine. Jussieux ne dissimule pas assez sa fâcheuse impression : au surplus, ce diplomate ne nous a pas l’air d’être un très galant homme. Il a beau s’ingénier à évoquer le passé et chercher dans ces yeux fanés un reflet du sourire de jadis, il ne parvient pas à retrouver la Nonotte de vingt ans. Quand se produit un coup de théâtre… Nonotte à vingt ans ? Mais la voici ! Elle vient d’entrer. C’est Henriette, portrait vivant de sa mère. Telle était Nonotte quand il l’a tant aimée, telle est maintenant Henriette. Resté seul avec la jeune fille, Jussieux s’amuse à détailler cette extraordinaire ressemblance. Les yeux, les lèvres, les cheveux… Henriette se prête à cet examen circonstancié, sans y mettre aucune espèce de malice, j’en suis bien convaincu, mais, tout de même en personne qui n’est pas de celles qu’un rien effarouche.