Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de les imaginer. Ce sont des journaux de pays neutres qui nous les révèlent. Ils auraient été exposés par les directeurs des agences ennemies de propagande devant les correspondants qu’ils ont attachés à leur service, et l’invention en aurait été louée comme le fin du fin et le suprême de l’art. On n’a pas tardé à s’apercevoir qu’on lui faisait un honneur excessif. Chez nous, et l’on peut dire aussi bien chez tous les peuples de l’Entente, l’esprit public s’est montré d’une fermeté, d’une netteté admirables, dans une admirable unanimité. Le plan a été aussitôt deviné. Et la réponse, catégorique, a été lancée d’une seule voix: « Ah ! non, pas d’armistice ! Pas d’armistice, en ce moment, où le monde, heure par heure, se délivre du cauchemar qui, durant un demi-siècle, l’a comme enveloppé d’angoisse ! Nous ne pouvons pas ne pas vouloir la paix, mais nous ne pouvons vouloir qu’une paix, dont les conditions ne sont plus à débattre ; elles sont immuables, étant dictées par la nature et la force des choses ; toutes les négociations, toutes les conférences n’y sauraient changer une virgule. L’Empereur allemand a dit, dans son homélie mystico-féroce aux ouvriers d’Essen, que c’était le duel du Bien et du Mal, et que Dieu jugerait. Dieu a jugé. La sentence qu’il a rendue par les armes est sans appel. Il ne reste plus qu’à l’exécuter. »

Arrêt inexorable. Le Président des États-Unis, quand il eut lu ce chiffon de papier qui venait d’Allemagne, courut à sa machine à écrire, cette fameuse machine à écrire que les ironistes d’outre-Rhin ont si lourdement raillée et qui s’est transformée si élégamment en une toute-puissante « machine à finir la guerre. » M. Wilson est monté au sommet dans l’estime et le respect universels ; rien, jamais, n’effacera ni n’éteindra la dette de reconnaissance que tout homme civilisé, tout homme qui est homme, a contractée, dans le présent envers sa personne, dans l’avenir envers sa mémoire. Pourquoi donc le cacher, mais comment le dire ? Un instant, on a craint un peu la perfection de sa vertu. N’était-ce pas, dans la note allemande, une perfide habileté de plus que de l’invoquer comme arbitre, même après qu’il s’était déclaré et affirmé adversaire, par la preuve la plus irrécusable qui soit, par l’envoi sur les champs de bataille de millions de soldats américains et le sacrifice, déjà consommé, de milliers de ces soldats ? N’allait-elle pas, la vieille astuce germanique, le circonvenir, le flatter à l’endroit sensible, le prendre par ses côtés faibles, qui seraient, pensait-on à la Wilhemstrasse, le sentiment religieux et la culture juridique ? Mais ç’a été précisément l’erreur de psychologie dans laquelle un Allemand manque rarement de tomber, de ne pas comprendre qu’en l’espèce ces