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Il avait horreur des privilèges et les combattait sous toutes leurs formes. En conformité avec l’esprit de 89, il n’admettait pas qu’une portion quelconque du peuple s’érigeât en pouvoir rival de la nation. Il redoutait par-dessus tout la tyrannie de l’argent qui, lorsqu’il ne corrompt pas directement les hommes, prend prétexte de ses libéralités pour imposer au pays des volontés ou des desseins particuliers. Il considérait la formation d’une classe de magnats de la finance comme l’avènement d’une féodalité nouvelle et comme le symptôme d’une maladie sociale, susceptible de perdre la démocratie. Que deviendraient la liberté, l’égalité, les lois, les mœurs, si, à l’abri d’une légalité faussée, quelques individus ou groupes d’individus réussissaient à concentrer entre leurs mains des fortunes telles qu’ils fussent en état de tout acheter, de tout s’approprier, de tout maîtriser ?

Contre ces dangers, le président Wilson voyait deux moyens d’action : le premier était l’union étroite du Président avec la nation dont il émane, c’est-à-dire l’effort pour réaliser une démocratie, non seulement formelle, mais réelle, assurant, effectivement et également, à tous, les citoyens, l’exercice de leurs droits légitimes ; le second était un moyen moral, à savoir le large développement d’un système d’éducation qui ne vise pas, en principe, à faire des ouvriers bons pour telle ou telle besogne, mais à créer des hommes capables de penser, exercés aux choses de la pensée, mettant dans ces choses leur intérêt et leur ambition. Pour cultiver ainsi les esprits, il ne suffit pas de leur faire apprendre telle ou telle science : il faut aussi les former aux lettres et à l’histoire, à ces études, dites humanités, qui développent dans les esprits l’intelligence des vérités morales, des grandeurs idéales, et qui les mettent en possession de l’expérience acquise par l’humanité, touchant la conduite de la vie chez les individus et dans les nations.

Telles étaient les vues que le président Wilson, de longue date, s’appliquait à faire prévaloir. Soudain éclata un événement qui mettait l’Amérique en demeure d’opter entre les deux voies qui s’ouvraient devant elle. Le président Wilson, impartialement, tranquillement, observa, étudia, médita ; et bientôt il se convainquit de l’impossibilité, pour son pays, de demeurer neutre dans l’effroyable conflit qui désolait l’Europe.

Ayant acquis la certitude que cette guerre était, bien