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Cette attention la tira de sa torpeur ; elle en fut touchée et, par son ordre, le billet suivant fut écrit à Ludovic le More : « Ma souveraine est très heureuse, dit le secrétaire Paolo Bilia, d’apprendre que vous avez accepté le présent qu’elle vous a envoyé et elle est reconnaissante des aimables messages qu’elle a reçus de votre illustre épouse (Béatrice d’Este), aussi bien que des offres que vous lui avez faites et des démarches des conseillers. Grâce à la médication de Niccolo de Cusano, sa santé s’est améliorée assurément ; les enfants vont très bien : seulement le petit garçon ne veut pas porter de vêtements noirs, ni voir tendre en noir les appartements. »

Quand, enfin, après beaucoup de prières, d’allées et de venues, la jeune veuve se décida, un sombre jour d’hiver, à quitter Pavie et à rentrer à la Cour, qui dorénavant ne serait plus la sienne, tout fut tenté pour lui rendre la transition moins pénible. Un témoin, le spirituel Barone, un peu bouffon, un peu confident, un peu chevalier de la marquise de Mantoue, écrivit à celle-ci : « La nuit dernière, la duchesse Isabelle est arrivée à Milan, et notre duchesse (Béatrice d’Este) est allée à sa rencontre, à deux milles en dehors de la ville et elles se sont retrouvées ensemble. Notre duchesse est sortie de son char et est montée dans celui de la duchesse Isabelle, toutes les deux pleurant à fendre l’âme, et, ainsi, elles ont cheminé jusqu’au Castello, où elles ont trouvé le duc de Milan venu au-devant d’elles à cheval, à la porte du château. Il se découvrit et les accompagna au Castello, où tous les trois mirent pied à terre et, plaçant la duchesse entre eux, notre duc et la duchesse la conduisirent à ses anciens appartements. Lorsqu’ils y furent arrivés, ils s’assirent tous à la fois et la duchesse Isabelle ne faisait que pleurer, tant qu’à la fin le duc se mit à lui parler et la supplia de se calmer et de reprendre courage, avec beaucoup de paroles semblables. Le cœur le plus dur aurait été touché de compassion à la vue de cette femme, avec ses trois petits enfants, maigrie, défaite par le chagrin, portant une longue robe noire de moine, faite d’un drap à quatre sous la brasse, les yeux cachés par un épais voile noir. Pour moi, assurément, je ne pouvais pas m’empêcher de gémir et si je ne m’étais pas contenu, j’aurais pleuré plus encore ! »

Si le poison avait joué, dans cette tragédie, le rôle qu’ont dit les historiens, une pareille mise en scène dépasserait, en