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dit-on, mais les dieux se contentent de peu et celui-là ne pouvait suffire à un cœur de mère privée de son enfant…

Il fallait autre chose. Privée de son fils et d’une de ses deux filles, Isabelle reporta sur Bona tous ses espoirs. On croyait ses yeux baissés, comme dans le portrait, sur le passé, sur ses deuils : ils étaient toujours ouverts, — comme dans la marge du papier où Boltraffio l’a dessinée. Ils étaient toujours fixés sur Milan. Avec une obstination d’insecte, mille fois coupé de sa route et la reprenant toujours, sans varier d’une ligne dès que l’obstacle a disparu, la pauvre femme s’acharnait à faire de sa fille, la dernière survivante de ses enfants, Bona, ce qu’elle n’avait pu être elle-même, une véritable duchesse de Milan. Peu s’en fallut qu’elle ne réussît. On était en 1512 : une fois de plus, les Français étaient chassés d’Italie. Le fils de Ludovic le More, Massimiliano, ce petit dauphin tant célébré par les poètes et les peintres des Sforza, revenait d’Allemagne et succédait à son père. On eut l’idée de lui offrir pour fiancée sa cousine Bona, celle qui était née, la même semaine que lui, dans le même Castello. Il paraissait l’accepter. Le rêve d’Isabelle, ce rêve unique, reconnaissable sous tant de formes diverses, allait enfin s’accomplir, lorsque Massimiliano, lui-même, après trois ans de règne, fut renversé. La victoire des Français, à Marignan, décida de son sort. Il ne s’en plaignit pas et se montra tout heureux d’aller vivre royalement en France, comme avait vécu son cousin, Francesco, l’abbé de Noirmoutiers, dans les bonnes grâces de François Ier. A sa place, Bona épousa Sigismond Ier, roi de Pologne, et c’est sur un pays de neiges et de « barbares » que régna la dernière des Sforza.

Telle est l’histoire véritable d’Ysabella de Aragonia Sforcia unica in disgrazia. Maintenant, a-t-elle droit à ce titre ? Chacun en jugera d’après son expérience et d’après son cœur, selon des raisons plus humaines mais non pas plus incertaines que les raisons alléguées, d’ordinaire, pour juger de l’authenticité de son portrait.


BIANCA SFOHZA

Tout Milan est plein d’elle. On la voit aux devantures, aux vitrines, sur des chevalets, figurée par tous les procédés et dans