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sur beaucoup d’autres, — l’opinion publique était prête à les seconder. L’écrasement de l’Angleterre par la guerre sous-marine était devenu un axiome, et la foule méprisait l’Amérique lointaine, impuissante et esbrouffeuse.

La nation suivait peut-être avec un peu plus d’appréhension la querelle des partis ; elle devinait que des graves désaccords divisaient ses dirigeants. Son respect inné pour les grands personnages de l’État en était un peu troublé, car si elle admirait Tirpitz, elle n’en révérait pas moins Bethmann-Hollweg. Elle comprenait aussi que ces compétitions féroces affaiblissaient l’Empire, mais, — nous en avons déjà fait la remarque, — les disputes politiques ne passionnaient personne en dehors de Berlin.

Si l’Allemagne se résigna avec tant de peine à la grande déconvenue de Verdun, ce fut qu’elle passa alors par une crise de dépression morale et physique où la crainte d’une rupture avec les États-Unis et le souci des embarras politiques étaient pour peu de chose.


LA CRISE ÉCONOMIQUE, LA LASSITUDE ET LE MECONTENTEMENT

Durant l’hiver, la situation économique de l’Allemagne a empiré. Pour éviter la famine, le gouvernement a dû imaginer un système de ravitaillement et de rationnement si compliqué que tout le monde parvient à éluder ces règlements embrouillés et souvent contradictoires. Les journaux dénoncent les fraudes. Les tribunaux sévissent sans pouvoir enrayer l’accaparement. La querelle des producteurs et des consommateurs devient chaque jour plus aiguë. Un véritable conflit s’élève entre les villes qui souffrent de la disette et les campagnes qui refusent de livrer leurs produits.

Telle est l’origine des désordres qui éclatent à Berlin et dans plusieurs autres villes à l’occasion du 1er mai. Les ouvriers accusent les agrariens de spéculer sur la misère de la foule, avec la connivence des autorités. Quelques éléments révolutionnaires tentent, il est vrai, de donner à ces troubles une couleur politique ; une manifestation commence aux cris : « A bas la guerre ! à bas le gouvernement ! » Liebknecht, qui veut soulever la multitude, est aussitôt arrêté : le mouvement fait long feu. D’autres désordres se produisent à Munich