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même moment où Falkenhayn et Mackensen lui donnent ce surcroit de gloire et de conquêtes, elle reste anxieuse, les yeux fixés sur le front occidental. Les armées de l’Entente ont continué d’avancer sur la Somme : l’Etat-major attribue leurs progrès à leur supériorité numérique et matérielle, mais cette supériorité même inquiète l’opinion. Quand, à Verdun, les Français reprennent Douaumont, on allègue la surprise et le brouillard ; quand ils reprennent Vaux, on affirme que le fort a été volontairement abandonné ; mais les plus crédules finissent par comprendre que jamais Verdun ne sera aux Allemands. Puis le bruit court que Hindenburg songe à ramener ses troupes en arrière et à raccourcir le front occidental. A une dame qui l’interroge, il répond en riant : « Vous avez souvent dans votre cuisine une casserole bosselée, mais vous m’accorderez que dans cette casserole vous pouvez faire un excellent fricot ! » Il est même obligé de déclarer formellement, à un journaliste venu de Vienne pour le questionner : « C’est une bêtise de prétendre que je projette de racourcir le front occidental. Cette idée ne m’est jamais venue. Pourquoi le ferais-je ? Notre front de l’Ouest est à l’épreuve des bombes, et même si, çà et là, grâce à leur gigantesque dépense de munitions, nos adversaires gagnent un peu de terrain, ils ne passeront jamais. »

WoliV prodigue les télégrammes réconfortants : la famine règne en Russie, les révolutionnaires s’agitent en France, l’Angleterre manque de charbon, il est tombé 800 000 soldats sur la Somme, etc… Le général von Freytag-Loringhoven, chef de l’Etat-major général au ministère de la Guerre, fait insérer dans tous les journaux du 3 novembre un article considérable où il invite les gens de l’arrière à conserver cette même « volonté de victoire » qui anime les soldats sur le front : les gens de l’arrière ne cessent pas leurs « jérémiades. » Quand le chancelier annonce son intention d’instituer le service civil, c’est une telle explosion de mauvaise humeur qu’il croit nécessaire de s’abriter derrière Hindenburg. Le peuple, qui a si cruellement souffert des réglementations maladroites et incohérentes imaginées par les services de ravitaillement, redoute les charges et les vexations que lui Vaudra la nouvelle organisation. À ces appréhensions il faut ajouter l’inquiétude du lendemain (le gouvernement a été forcé de confesser que la dernière récolte n’a pas répondu à ses espérances) et aussi le malaise causé