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cour tint une si grande place. Elles prirent fin au commencement d’avril et, le 8 de ce mois, on apprenait que la famille impériale s’était retirée dans son ermitage de Gatchina, où l’Empereur demeurait inaccessible, sauf pour ses conseillers et pour les grands-ducs, avec lesquels il discutait sur sa conduite future, tandis que les assassins comparaissaient devant les tribunaux, étaient condamnés et subissaient leur châtiment. La situation telle que la présentent les documents est alors singulièrement troublée. Elle révèle les hésitations de l’Empereur, littéralement tiraillé entre les vues divergentes des personnages qu’il consulte.

Pour comprendre ces hésitations, il faut remonter dans le passé jusqu’au jour où, en 1866, la mort de son frère Nicolas l’a fait héritier de la couronne. Jusque-là, il s’était montré dépourvu de toute ambition si ce n’est celle de faire le bien là où l’avait placé la Providence. Depuis, sans plier sous la lourde charge tombée à l’improviste sur ses épaules, il s’est appliqué à se mettre en état de régner, mais avec la conviction que son père, qu’il vénérait, vivrait encore de longs jours et que l’heure était lointaine où lui-même hériterait du pouvoir. Il a donc été pris au dépourvu par le drame terrible qui l’a constitué chef de la dynastie et obligé à des décisions définitives. Qu’elles soient lentes et contradictoires, que ce qu’il a décidé la veille soit oublié ou démenti le lendemain, ce n’est pas pour nous surprendre si nous nous rappelons les témoignages d’irrésolution qu’il a donnés au cours de son règne. N’autorisent-ils pas à définir comme suit sa mentalité ? A la base, une conscience impeccable dont les élans se manifestent dans ses paroles comme dans ses actes, mais une inconcevable lenteur à se décider dans un sens ou dans un autre, à moins qu’il n’agisse par impulsion à la suite de tel ou tel événement par lequel il s’est laissé entraîner.

Ici, l’événement décisif c’est la mort de l’Empereur. Ame simple et sans détours, il voit dans l’attentat auquel son père a succombé un danger permanent pour sa maison. Comment le conjurera-t-il ? Est-ce en redoublant de rigueur dans l’exercice du gouvernement ? Est-ce en essayant d’instituer un régime de liberté et de tolérance ? Lorsque cette double question se pose dans son esprit et qu’il cherche à y répondre, c’est toujours vers le passé qu’il se tourne pour y puiser ses inspirations. Or,