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Ces menaces de qui pouvaient-elles venir si ce n’est de l’Allemagne ? Alexandre III prévoyait-il qu’il était exposé, lui aussi, à les encourir et qu’en ce cas, il aurait besoin de la France ? Déjà, en 1875, son père avait dit au général Le Flô : « Soyez forts, général. » Et Gortchakof avait ajouté : « Nous voulons la France aussi forte que par le passé et Paris aussi brillant. » Alexandre III restait donc dans la tradition paternelle et, tandis que par tant de traits parfois déconcertants, il semblait rivé à l’Allemagne, on eût dit qu’il prenait ses précautions contre elle.

Ceux de mes lecteurs qui ont connu le comte de Chaudordy ne me démentiront pas quand je dirai qu’en le choisissant pour l’ambassade de Saint-Pétersbourg, Gambetta avait eu la main heureuse et fait preuve de sagesse. Ancien directeur du cabinet de Drouyn de Lhuys à la fin de l’Empire, ayant conservé ses fonctions après la révolution du Quatre-Septembre, à la prière de Jules Favre, qui avait fait appel à son patriotisme, envoyé ensuite par le gouvernement de Paris à la Délégation de Tours, où, sous l’autorité de Gambetta, il avait dirigé la politique extérieure de la France, puis élu député à l’Assemblée Nationale, et, sous le gouvernement du maréchal de Mac-Mahon, nommé successivement ambassadeur de France à Berne et à Madrid, il joignait à l’expérience acquise au cours d’une si brillante carrière les plus aimables qualités de l’esprit, la modération dans les idées et une connaissance approfondie des questions ayant trait à la politique internationale. Chargé sous le premier ministère de Broglie d’une mission confidentielle auprès du prince Gortchakof, il était resté en relations avec lui et, bien que cet homme d’Etat eût quitté la chancellerie russe pour prendre sa retraite, son patronage était encore assez puissant pour assurer à l’ambassadeur en Russie un accueil exceptionnellement favorable. Mais il appartenait au centre droit de la Chambre, auquel le pouvoir avait été arraché à l’issue de la crise du Seize Mai et il ne semblait pas que cette circonstance dût le désigner au choix du gouvernement de la République. Il tomba donc de son haut lorsque Gambetta lui dévoila pour quel motif il l’avait fait appeler. Après avoir évoqué le souvenir des heures douloureuses pendant lesquelles ils avaient vécu côte à côté à Tours et appris à se connaître, le ministre lui dit :

« Ce n’est pas pour causer académiquement que je vous ai