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à se mêler en uniforme à l’escorte du souverain, étant exposé à un accès d’humeur ou à quelque boutade.

Au surplus, en présence du consentement d’Alexandre III, en ce qui touchait Chaudordy, la question ne s’était même pas posée. Celui-ci se prêtant à ce qu’on attendait de lui, tout fut dit, et il prépara son départ, approuvé par ses amis politiques qui n’ignoraient pas quels services la France pouvait attendre de lui.

Si nous nous sommes attardé à cet épisode vieux de trente-sept ans et bien oublié aujourd’hui, c’est parce qu’il fait honneur aux deux personnages qu’il met en scène et démontre combien le Gambetta des anciens jours s’était assagi. Mais, c’est là justement ce que les partis avancés ne lui pardonnaient pas. Le 26 janvier 1882, alors qu’il n’était au pouvoir que depuis six semaines, son ministère était renversé sur la question du scrutin de liste. Quelques jours plus tard, M. de Freycinet revenait à la présidence du Conseil et reprenait le portefeuille des Affaires étrangères. Chaudordy n’était déjà plus ambassadeur en Russie. Gambetta renversé, il lui avait apporté sa démission et son successeur ne tardait pas à être désigné. C’était l’amiral Jaurès, dont la mission d’ailleurs fut de courte durée et a si peu marqué qu’elle échappe à l’Histoire et que nous n’aurons pas à en reparler.


III

Le 20 janvier 1883, la famille impériale rentrait à Saint-Pétersbourg à la grande joie des habitants de la capitale. Son absence avait duré vingt-deux mois, à peine interrompue par de rares et rapides apparitions. Le retour de l’Empereur créait un état nouveau où la satisfaction populaire entrait pour une large part en ramenant sur la personne du souverain un prestige qui menaçait de s’évanouir. Il s’installait au palais Annïtchkoff où il résidait quand il n’était encore que tsarewitch. Mais il était entendu que les réceptions officielles auraient lieu au Palais d’hiver. A cet effet, la police redoublait de surveillance, car il s’en fallait de beaucoup que l’atmosphère de crainte en laquelle vivait la cour fût dissipée. « Nous n’aimons pas, disait de Giers, à voir l’Empereur sortir du cercle étroit où nous pouvons répondre de sa vie. »