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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/419

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proie, fondant sur elle, réveillant dans mon cœur le peuple frémissant des noirs présages ! O courlis de Belgique, et votre cri si triste des soirées de l’Yser ! Où alliez-vous, oiseaux rapides qui passiez sur notre angoisse ? Pluviers mélancoliques qui nous jetiez un morne cri d’adieu avant de franchir d’un seul coup d’aile l’immense étendue marine, assemblée des corbeaux, freux au ventre gris, qui vous réunissiez en troupe autour des charognes surprises par l’arrivée des eaux ; intelligentes pies qui échangiez les nouvelles du jour, vrai blason de l’hiver, noires comme suie, blanches comme neige et la queue d’un poêlon ; bandes folles des étourneaux qui, d’une ferme à l’autre, insoucieuses des frontières, picoriez le pain noir des Boches et le pain blanc de chez nous, et qui, neutres sans malice, alliez-vous coucher, le soir, dans ce bois de la Canardière que seules vous pouviez occuper ! O paradis terrestre qu’étaient devenues les prairies inondées de l’Yser ! Hérons pensifs, debout sur les mottes qui émergeaient des eaux protectrices ; lointains oiseaux du Nord que nous avons vus quelques jours glisser sur l’eau moirée, et dont le beau plumage faisait lever les têtes même les plus craintives au-dessus de la tranchée ; beaux cygnes qui nagiez devant nous au milieu des balles sifflantes et du bruit absurde des obus, si tranquilles, si beaux, si confiants, que les fusils des plus enragés chasseurs restaient pour vous sans menace ; et vous, perdreaux et cailles qui croissiez et multipliiez au milieu des lapins et des lièvres, entre les fils de fer barbelés ; pinsons qui annonciez la venue du printemps, alors que ni dans nos cœurs ni dans la nature encore froide, aucun espoir de feuille n’avait encore paru ; et vous, pinsons aveugles, prisonniers dans vos cages ténébreuses, que nous avons entendus sans vous voir dans les estaminets des Flandres, en buvant un café sans ardeur ni parfum ; rossignols douloureux qui célébriez notre propre douleur et nos amours perdues ; que de fois votre force de vie, votre chant, votre liberté nous a tour à tour fait du mal, étonnés, consolés, ravis ! Mieux que les verdures qui renaissent, dans ces paysages de mort, vous êtes, au-dessus de nos têtes, le signe que la vie survit à la dévastation, qu’il y a des choses que la guerre ne tue pas, et qu’un jour, nous aussi, nous serons rendus à la lumière, à nos fantaisies, à la vie libre. Parmi les jardins dévastés, dans les villages en ruines où vous menez la même vie qu’autrefois, vous dites aux décombres : « Voyez, nous