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miracle, briser ce morceau de verre, remuer cette tombe, jeter bas ce reste de portail, ébranler ce petit enclos, arracher une branche à quelque arbre fruitier, bref, porter le trouble au milieu du chaos, la dévastation dans la mort…

A leur tour, ces décombres, témoins inertes de ces fureurs aveugles, finiront par disparaître. Ce village sera rebâti ; la dévastation s’effacera comme le bruit s’est éteint. Il n’est pas jusqu’au souvenir qui sera réduit au silence. La complaisance, que malgré soi on apporte à des récits inévitablement pareils dans leur tragique monotone, lassera vile des oreilles indifférentes et l’attention reprise par la vie. Il n’y aura plus, pour écouter ces histoires, que de vieux compagnons de guerre que le sort n’aura jamais séparés, ou bien d’anciens camarades que le hasard mettra l’un en face de l’autre, et qui, avant de s’aborder, hésiteront un moment à reconnaître, sous la barbe blanchie et le vêtement inconnu, l’homme avec qui ils auront passé les heures sinon les plus tragiques, du moins les plus mouvementées de leur vie. Alors, quand tout dans la nature aura repris son visage d’autrefois, pour exprimer l’horreur de ces choses passées, il ne restera que l’invisible, l’absence d’un être anéanti par une de ces tristes nuits, et que dans sa maison, dans son jardin, dans son champ, on ne reverra jamais plus…

Comme je rêvais à cela dans les ruines de ce village écrasé, au pied d’un mur où se lisait encore en grosses lettres : « Noces et banquets, » sautillait devant moi, dans la pierraille, un petit oiseau noir d’une effroyable allégresse. Il allait d’une pierre à l’autre, soulevant une légère poussière, effritant encore la ruine de ses pattes dures et crochues, voletant, se démenant, et paraissant, dans sa jubilation, ne plus savoir où donner de la tête. Les arbres épars dans les vergers dévastés, les premiers arbres dont les bourgeons éclataient, semblaient pour lui sans attrait. Il chantait, mais non pas comme chante d’ordinaire un oiseau. Un oiseau chante pour appeler l’amour ou écarter un danger de son nid : celui-ci semblait cécité par la seule vue du ravage. Je reconnus l’oiseau des ruines dont parlent les ornithologues. Il lui faut, à cette bestiole, le gravât, les décombres, la brique réduite en poussière ; et les buissons lui font horreur. Les hiboux sont moins sinistres, qui, le soir, jettent leur triste plainte, car eux-mêmes semblent les victimes du malheur posé sur leurs ailes. Mais ce petit oiseau macabre ne parait trouver