Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/557

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Goblet, donnant le bras à Chevreul, un moment bien près de s’évanouir, le conduit dans la salle des Gardes. Toute cette partie de l’Hôtel de Ville est bien blanche, bien nue. Crudité de ton. Du neuf. Il n’y a point d’histoire dans ce monument. Tout à l’heure, un candélabre s’était brisé devant Chevreul.

— De l’utilité des bougies ! dis-je au général Pittié…

On avait du reste éclairé aux bougies (hommage à Chevreul, au chimiste) la salle du festin.

À noter la cohue des reporters et leurs propos :

— Floquet a envoyé quatre exemplaires de son discours à la Lanterne. Je te vais le saler demain dans le Radical. Et il me fait des mamours encore !

Lockroy, pris à part par un petit bonhomme boiteux :

— Faites l’amnistie, citoyen, ou vous allez glisser ! Je suis le citoyen un tel, du Comité de défense du XIe arrondissement. L’amnistie ! ou sans ça, vous glissez !

L’amnistie ! Pour qui ? Pourquoi ?

Regard narquois et étonné de Lockroy.

Et, j’oubliais le général Boulanger. Très beau, mais rien du militaire. La barbe blonde entière, les cheveux bien peignés, les oreilles très décollées, des deux côtés de la tête. Voix claire, bien timbrée. Il rappelle en peu de mots bien frappés et considérablement applaudis que Chevreul, en 1870, a protesté contre le bombardement du Muséum, puis il se rassied, très calme, mais comme quelqu’un qui a produit un effet et non comme un homme qui a fait son devoir. Du reste, il a l’air crâne. Je vois que ce matin, Giffard dans le Figaro le compare à un commis de nouveautés. C’est trop, et c’est pourtant un peu ça. Je cherche, et je ne sens pas le militaire. C’est un bellâtre. Pourquoi n’était-il pas en uniforme ?

Je sors avec G. Livet et Blavet. Vu la retraite aux (lambeaux d’une fenêtre de l’Événement. Superbes les cuirassiers avec le reflet des torches sur leurs cuirasses. Les pompiers aux casques rougis par les lanternes. Derrière, des masques en casaques rouges, je ne sais quels trompettes de Paris (une association musicale) et une foule compacte, noire, hideuse, suivant en sifflant horriblement. Sifflant quoi ? La retraite manquée, piteuse, je ne sais ; et de temps à autre entonnant le Chant du Départ. La fête de Chevreul où chacun parlait de la mort du vieillard,