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M. Thiers qui est cause qu’on vous fusille. Il n’avait qu’à vous échanger ! »

La moralité de ces jours féroces apparaît dans ce que me dit cet homme à propos du capitaine de Beaufort qu’ils voulaient sauver :

— J’ai dit, moi et deux autres : Qu’on le dégrade ! Et s’il résiste, fusillez-le ! — Il a été fusillé place de la Bastille. Nous voulions le sauver ; il ne méritait pas la mort, il avait insulté des sentinelles au ministère de la Guerre, mais on voulait nous fusiller nous-mêmes, Delescluze, Genton, Jaclard, moi ! — Delescluze, qui avait déjà l’air à moitié mort, parlait debout sur la barricade, et on voulait le fusiller !

— Je serait curieux de raconter une journée pareille !

— Oh ! c’est impossible !

Et dans les quelques paroles de cet inconscient, je revois la journée rouge, le sang. J’entends les obus, les cris, les rugissements de la horde. C’était le mercredi que cela se passait. Il s’est battu jusqu’au dimanche.

Puis, quand il a parlé, d’un air un peu triomphant, de ce passé qui l’a jeté au bagne, puis à l’ile d’où l’amnistie l’a tiré, il parle du présent d’un autre ton.

— Je travaille à façon pour les maisons d’ébénisterie. Ce n’est pas facile. Lus Allemands, les Flamands surtout nous font concurrence.

— Les Flamands ?

— Oui. Ils travaillent à sept sous l’heure !

— Comment vivent-ils ?

— Ça mange des pommes de terre !

Et il ne s’aperçoit pis qu’il déteste autant le pauvre diable âpre au travail, labourant au rabais, mais labourant, que ceux qu’il a combattus en 71. Ces Flamands qui mangent des pommes de terre, ce sont des fils du peuple aussi !

Je le quitte. Il sourit, salue, me tend la main.

J’ai vu des rois au théâtre. Je viens de voir un roi aussi ; un roi d’en bas, un roi d’une heure, — un roi qui s’était fait bourreau.


22 avril 1887.

Grosse souleur. — Un commissaire français, celui de Pagny-sur-Moselle, a été arrêté sur le territoire français, dit-on, par