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éloigné des cavaliers de plus d’un quart de lieue, et c’est pour approcher de plus près et mieux mesurer le retranchement que le marquis de Castelnau, jetant les rênes à Ligniville, descendit de sa monture, Rien mal lui en prit. C’est à ce moment en effet, dit La Mesnardière toujours bien informé, que Castelnau reçut « un coup de fusil dans le corps au-dessous de la ceinture. » Le Laboureur indique plus précisément que ce fut « dans le côté gauche au défaut des côtes. » Quoi qu’il en fut de ce détail, le lieutenant-général chancela un peu sur le coup ; mais il y avait en lui une telle fermeté, un mépris si grand de la mort et une trempe d’âme tellement au-dessus de tout ce qu’on peut croire, que, sans un cri, sans une plainte, après s’être raidi légèrement, il trouva assez de force pour reprendre les rênes des mains de Ligniville, monter à cheval et, sans secours, gagner Mardick.

Sans la petite traînée de sang qui gouttelait de l’arçon de sa selle au long de lui jusqu’à ses étriers, le marquis de Varennes, le comte de Ligniville, les sieurs de Rouvray et de Létancourt, qui le suivaient en grande confusion, ne se fussent pas aperçus de sa blessure. Pour lui, à peine arrivé au fort de Mardick, et quelque admirable que fût sa contenance, il commença de sentir ses forces l’abandonner. Il n’eut de cosse dès lors qu’on ne lui envoyât le nommé Le Roy, chirurgien de l’hôpital de Mardick ; mais il voulut, avant de se livrer aux soins de cet homme, être entendu en confession par le P. Cannet.

Après quoi, ayant achevé sa confession, il s’abandonna aux mains de Le Roy ; mais ce chirurgien n’eut pas plutôt sondé la blessure qu’il hocha la tête, de manière à montrer à Varennes et à Ligniville, qui n’avaient pas quille Castelnau d’un moment, que l’état du lieutenant-général était désespéré. Celui-ci, à l’excès des maux qu’il endurait, comprit bien qu’il ne pouvait être pansé et soigné à Mardick aussi bien qu’à Calais. C’est en cette ville que se tenaient Sa Majesté et S. Ém. le cardinal Mazarin. La cour se trouvait auprès d’eux, et, dans la satisfaction que lui avait donnée le succès des armes du Roi, et l’attente de la prise de Dunkerque, ne cessait de faire éclater les marques de ses transports. Son Éminence ne laissait pas de répéter, qu’encore qu’elle eût envoyé Talon, son intendant, pour presser Turenne d’attaquer don Juan et Monsieur le Prince, tout le mérite militaire du succès des Dunes revenait à Turenne et à Castelnau.