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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/676

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chemineaux, s’essaient à faire cuire quelques aliments dans le fossé du chemin…

— Que ne demeures-tu pour les protéger ? Où vas-tu donc, soldat ?…

— J’obéis…


Un matin, l’armée s’étonna d’attendre l’ordre du départ et l’on apprit bientôt que le vœu unanime était enfin réalisé. On mourrait peut-être, mais on ne reculerait plus ! On se ferait hacher sur place, mais les corps marqueraient la frontière provisoire que l’ennemi ne franchirait pas. Ce fut le miracle français. Les lutteurs s’affrontèrent longuement. Les peuples haletaient, penchés autour de la lutte géante. Peu à peu, les reins de l’agresseur plièrent ; son front gonflé s’abaissa ; un frémissement de tout son corps annonça la défaillance prochaine. Et vint le grand recul et la victoire immense. Suivant la promesse qui assure à l’obéissance les chants du triomphe, la servitude consentie par noire armée dans l’humiliation de la retraite avait donné à l’audacieux et clairvoyant génie du chef les conditions de notre salut.

Ce fut, pendant quelques jours et pour nous cette fois, « la guerre fraîche et joyeuse. » Les pays envahis sortaient de leurs tombeaux. La victoire, enchantant, nous ouvrait la carrière… Mais bientôt l’ennemi s’évanouit comme une ombre et l’armée n’eut plus devant elle qu’une longue ligne de terre soulevée qui abritait des fusils et des mitrailleuses. La servitude reprit plus lourde que jamais….


Quel fondateur d’ordre, proposant aux hommes de volonté parfaite, la vie la plus dépouillée, l’abnégation la plus totale, aurait pu imaginer la règle qui devait être celle de nos soldats depuis ce temps, les vœux qui devaient être leurs vœux ?… Pour trappe un fossé, boueux l’hiver, brûlant l’été ; les nuits souvent sans sommeil, car l’ennemi est trop prêt à vous chanter de sanglantes matines ; une séparation du monde, les premiers mois surtout, aussi complète que si la grille la plus austère se fût fermée sur vous et, pour combler toute cette misère, la menace incessante d’une agression qui rôde, jour et nuit, le