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Sommet du devoir, sommet de l’honneur, sommet de justice et de liberté, voilà donc quel magnifique horizon moral découvre toute méditation sur notre armée. Et l’attrait, sans doute, en est grand puisque, l’un après l’autre, tous les peuples réclament l’honneur des mêmes ascensions…

Tout ce bel horizon resplendit pour nous d’une lumière de fraternité. « S’aimer, ce n’est pas se le dire[1] » et nos soldats, ici encore, sont de grands silencieux. Mais que la fraternité rayonne dans leurs actes ! Quel accent dans cet appel d’une gentillesse si française que jetait un jeune aspirant aux soldats âgés qu’il entraînait à l’assaut : <« Allons, mes vieux papas, vous n’allez pas laisser mourir tout seul votre enfant !… » — Quelle générosité totale quand il faut ramper sous les balles pour secourir un camarade blessé ! Quelle piété fraternelle quand un soldat risque la mort pour assurer à un chef ou à un ami mort la décence d’un tombeau !… Et si vous souhaitez un symbole à cette émouvante piété, voyez ce prêtre-soldat plaçant une croix sur une tombe et, soudain mortellement frappé, donnant sa vie sur cette croix[2] !


De toute cette beauté morale de notre année, rendons hommage à ses chefs et à ses soldats. Ceux-là sont grands, non seulement d’avoir prouvé combien, suivant le mot de Bossuet, « ce qu’il y a de plus fatal à la vie humaine, c’est-à-dire l’art militaire, est en même temps ce qu’elle a de plus ingénieux et de plus habile, » mais aussi d’avoir toujours été les premiers sur le chemin de l’honneur et d’avoir entouré leurs hommes d’une tendresse fraternelle. Ceux-ci demeureront le type éternel du peuple armé pour défendre, avec les champs et les foyers, la justice et la liberté. Il suffira toujours de les contempler tous, dans leur servitude et dans leur grandeur, pour que montent du cœur les mots fraternels du poète :


Et depuis ce jour-là je les ai tous aimés.
  1. Clemenceau. Déclaration ministérielle de 1917.
  2. Cf. cette citation à l’ordre de la Ve armée : « Abbê Antheunès. Brancardier aumônier du régiment. Exemple impressionnant d’héroïque simplicité dans l’accomplissement du devoir. A été tué glorieusement, ayant entre les mains la croix dont il marquait, sur le champ de bataille, la tombe d’un camarade qu’il venait d’inhumer… »