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ignorance et de sa curiosité, il reprit : « Alors, vous croyez que tout ceci n’est qu’une manœuvre ?… C’est une mobilisation secrète contre la Russie. » Et l’Autriche mobilisait pareillement dans le Sud contre la Serbie et le Monténégro. On avait dit aux officiers qu’il y avait des incidents de frontière au Nord, que les Cosaques avaient franchi la frontière de Galicie. Mais le jeune officier tchèque savait que c’étaient des mensonges. Il avait une sœur mariée en Russie et qui habitait précisément la ville frontière où l’on prétendait que les Cosaques avaient franchi la ligne ; elle aurait certainement connu le fait, d’autant plus que son mari appartenait à l’armée active, à Priez. « Pour moi, » conclut le malheureux garçon, « s’il y a une guerre, j’aurai à combattre et peut-être à mourir pour une cause étrangère à mon cœur. »

Comment l’idée du danger n’obséda-t-elle pas davantage l’esprit d’une personne avisée, si bien placée pour le voir, et dont les souvenirs attestent aujourd’hui qu’elle en avait relevé tant d’indices ? Elle était comme nous tous, hélas ! Après chaque crainte, après chaque alerte, le cauchemar se dissipait, et elle s’abandonnait à la croyance qu’il ne deviendrait pas une réalité. D’autre part, les tourments de sa vie privée émoussaient sa sensibilité pour les grands événements de l’univers. Elle traversa ainsi la période des guerres balkaniques, suivit les progrès que faisaient dans les sphères gouvernementales autrichiennes la folie des grandeurs et le désir de la guerre, et s’arrêta à cette conclusion, qu’elle se reproche aujourd’hui comme le résultat d’une vue stupidement courte : l’Autriche attaquerait la Russie ; la Hongrie ne la suivrait pas, et c’était la ruine certaine. Cela lui suffisait.

Nous n’insisterons pas sur la seconde moitié du volume, qui se rapporte au début des hostilités et nous donne des impressions de l’Allemagne en guerre. Elles sont loin d’être sans intérêt. Nous y voyons des exemples saisissants de la brutalité dont les Allemands témoignent envers leurs propres blessés et de la sauvagerie qu’ils apportent dans les rapports avec leurs ennemis. Par deux fois, la comtesse Leutrum a entendu des Allemands eux-mêmes corroborer avec honte et colère les plus horribles histoires racontées par les Belges. Son témoignage nous apprend ce qu’il en coûte à des officiers allemands d’être accusés de douceur. Il évoque enfin l’enfer de haine et de fureur