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familles, deux sœurs dont l’une est fort jolie : et l’on a la bienveillance de les appeler « celle qui est si jolie » et « celle qui est si intelligente : » on pardonne à l’une sa beauté, en la croyant un peu sotte. Les magnifiques écrivains, on les soupçonne très souvent d’être assez bêtes : les faiseurs de galimatias ont facilement passé pour être des penseurs. Grand écrivain, très singulier, l’inventeur d’une poésie, Tacite, — excusez-le, — fut un grand historien.

M. Courbaud ne dit pas non. Mais il prétend que ce n’est pas son affaire à lui M. Courbaud, qui examine seulement « les procédés d’art de Tacite dans les Histoires. » Eh ! tout se tient ; et l’art de Tacite n’est peut-être pas une chose nettement séparée de sa pensée ou de la substance même de son œuvre : car il faut à chaque instant que M. Courbaud ne se contente pas d’examiner les procédés d’art de Tacite et se résigne à étudier Tacite, son histoire, ses qualités d’historien.

La première qualité de l’historien, c’est la vérité. Voltaire appelait Tacite un fanatique. Et Tacite, dans le prologue des Histoires, blâme les fanatiques : depuis la bataille d’Actium, on ne connaît, dit-il, en fait d’historiens, que des flagorneurs ou des pamphlétaires. Ce sont des gens qui offensent la vérité ; ce sont des gens qui n’ont pas le souci de la postérité : il les méprise. Et il se range parmi les incorruptibles amis de la bonne foi. Galba, Othon, Vitellius ne lui ont fait ni bien ni mal ; les bienfaits de Vespasien, de Titus et de Domitien ne le pousseront pas à la complaisance : il parlera des uns et des autres sans amour et sans haine. S’il a tenu sa promesse, — et il l’a tenue, — il prouve son impartialité. Mais la recherche de la vérité veut un autre effort.

A-t-il « le goût de l’exactitude scrupuleuse ? » demande M. Courbaud, qui répond : « Il ne l’a pas assez. » M. Courbaud, qui a le goût de l’exactitude scrupuleuse, au point que toute affirmation vive lui est une souffrance, je crois, ajoute : « Je ne veux rien exagérer. Il aime la vérité ; il désire la connaître et prend de la peine pour l’atteindre, plus de peine parfois qu’on ne lui en suppose ; il ne l’aime pas au point de lui tout sacrifier, même l’effet Littéraire… Il n’a pas ce culte de la science qui donne à ses adeptes la force d’écarter de soi passions ou préjugés, influences du milieu, préoccupations d’artiste, pour se placer en face de la vérité toute seule et tâcher de la voir dans sa pure lumière… » Enfin, Tacite, ce n’est pas Gabriel Monod. Mais Gabriel Monod, quand il étudiait un Mérovingien, les papiers relatifs à tel ou tel Mérovingien, certes il avait du soin, de la