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docteur Soif s’est enhardi, il ne se borne plus à pleurer misère. Il découvre d’autres soucis et dévoile d’autres desseins.

Dans un de ses plus récents radiotélégrammes, qui, celui-là, n’était pas seulement pour les États-Unis, mais qui visait également la France, la Grande-Bretagne et l’Italie, le gémissement s’élargit, la plainte gronde et presque menace. Le manque de nourriture, la peur de la famine en est encore l’amorce ; mais des denrées de bouche M. Soif passe aux marchandises ; du pain, il en vient au minerai, au charbon, à la potasse ; il songe à la batellerie, aux chemins de fer et aux douanes; — aux douanes, principalement, facteur si puissant d’unité par les bénéfices que le partage procure aux petits États du Zollverein.— Derrière toutes ces questions, non pas menues, mais de détail, il n’évoque pas explicitement, mais surgissent d’elles-mêmes d’autres questions, celle du Luxembourg, celle du Rhin, et la grosse question que M. Soif voudrait bien poser de biais, de travers, ou en travers ; qu’il pose prématurément, dans le vain espoir d’y faire trébucher l’Entente, celle de la rive gauche du fleuve. Par une action concordante, ses deux gardes du corps ou de l’esprit, M. Ebert et M. Haase, soufflent sur la question d’Alsace-Lorraine, et s’évertuent à y rallumer la fureur allemande : « Rien n’est définitif, l’occupation ne préjuge pas la possession, un plébiscite tranchera. » On va, à bref délai, procéder à l’élection d’une Constituante, et d’un côté nous n’aurions qu’à nous en féliciter, parce que nous aurions peut-être alors en face de nous une Allemagne moins inconsistante, moins informe, moins inorganique : quelque chose qui ressemblerait à quelque chose; mais il faudrait voir ce que nous aurions. Si, au lieu de l’Empire fédératif, il sortait de cette Constituante une République allemande unitaire, nous aurions perdu à ce changement. Nous y aurions d’autant plus perdu que les Allemands d’Autriche seraient plus tentés de venir s’agréger à la République allemande une et indivisible. Si faible ou même illusoire que fût, sous l’Empire qui vient de tomber, la garantie tirée de son caractère fédératif, néanmoins la coexistence de vingt-cinq États souverains était une entrave, un frein, une gêne, et forçait au moins à un mensonge, comme dans le cas de la prétendue agression contre le territoire de l’Empire, commise sur Nuremberg par des avions fantastiques. La République allemande serait mue et lancée d’un seul bloc : ce serait une Allemagne perpétuellement dressée et hérissée. Une transformation de régime ne rendra pas l’Allemagne inoffensive : la fixité du type germanique, tout au long de l’histoire, de siècle en