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balayé, propre et bien tenu. Le commandant d’Annunzio ne doit aimer ni le désordre, ni le laisser aller. Il me fait entrer en une longue cabane fort soigneusement peinte, et qui rappelle, ainsi placée parmi les arbres, quelque avenante maison de pionnier dans un monde nouveau : c’est son quartier général, il y possède un petit appartement, un « campement » plutôt. Dans la première pièce, on établissait des meubles, un comptoir : « Nous ferons ici un bar, » me dit-il. Après quoi, il me montre, en sa chambre ornée avec beaucoup de goût, deux vieux saints de chêne vermoulu qui sourient vaguement aux survenants : « Voici saint Fortuné et sainte Aventurine, les deux patrons de l’escadrille. » Les placera-t-il dans le bar ? Ou les ramènera-t-il au ciel dans son avion, quelque jour ? Nous gagnons ensuite une salle un peu plus vaste, a fenêtres basses, — l’on eût cru pénétrer dans le salon d’une frégate ; — où des jeunes gens, tous en tenue d’aviateur, consultaient des cartes, ou attachaient de longs rubans verts, blancs et rouges a de petits sacs portant l’écusson d’Italie. Des yeux brillants, la voix gaie, le geste prompt, l’allure vive : le plus âgé de ces pages n’avait pas vingt-cinq ans. « Ce sont mes pilotes et mes observateurs, » me déclara le commandant. Tous lui font le salut militaire. Il leur serre la main, et me présente. Devant l’un d’eux : « Voici Gabriellino, mon fils, » fait-il. Et il ajoute : « Gabriellino est observateur, comme moi. Vous voyez là un bon soldat d’Italie. »

Dès ce moment, et quand la plupart se remirent à nouer leurs sacs, — sachets aux couleurs joyeuses, contenant une proclamation du poète, et qui étaient destinés à être lancés du haut des avions, en signe de Hesse et d’anniversaire, pour la fête de la Toussaint, — une sorte de grâce guerrière me séduisit beaucoup, à savoir la nuance très particulière du respect que tous les subordonnés du commandant d’Annunzio témoignaient à celui-ci. Jamais il n’élevait la voix, ni ne parlait autrement qu’avec une extrême sérénité et une vraie camaraderie ; et de même chacun lui répondait-il du ton le plus confiant, ainsi que le plus affectueux. Néanmoins, ces jeunes gens, presque tous officiers, se plaçaient comme instinctivement dans une position militaire, réunissaient les talons sans y penser, et tout en souriant, si d’aventure ils plaisantaient, portaient malgré eux la main à leurs képis. Et dans le personnel