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risible, précipitée du haut de son orgueil, gisante sur le sol, humiliée, impuissante, comme toutes les prétentions démesurées du césarisme prussien. Symbole saisissant de l’écroulement de l’empire, le sombre colosse d’airain est tombé à la renverse, gaiement piétiné par des garçonnets et par des fillettes en costume bleu, blanc, rouge. Le monument du germanisme oppressif s’est effondré dans la poussière. L’édifice que Bismarck se vantait d’avoir fondé sur des monceaux de cadavres, par le feu et par le fer, est abattu. Sur le marbre du piédestal dédié au fondateur de l’empire allemand, on lit encore ces mots, dont la mensongère flagornerie ressemble à une ironie suprême : « À Guillaume Ier, ses peuples reconnaissants. » Le peuple lorrain vient d’exprimer son sentiment d’une manière qui équivaut au plébiscite réclamé par les derniers courtisans de Sa Majesté germanique. Autour de ce spectacle instructif, la jeunesse rit de contentement, la vieillesse pleure de joie. On se souvient. On espère. On échange des regards émus, des paroles brèves. J’entends distinctement mon voisin, le vieux Messin paralysé, impotent, infirme, joyeux, qui dit, comme se parlant à lui-même : « Allemagne, te voilà par terre, maintenant. »

À l’autre bout de l’Esplanade, au bord de l’avenue où les soldats français vont défiler sous les yeux d’une population attendrie et reconnaissante, la statue du maréchal Ney se dresse en un geste héroïque. On a mis un drapeau entre les mains du « Brave des Braves, » qui naquit en Lorraine. Le maréchal Pétain, s’avançant, magnifique et calme, en manteau bleu horizon, au pas d’un cheval blanc, a eu l’heureuse pensée de se placer, suivi de son état-major, avec les généraux Buat, Fayolle, Leconte, auprès du glorieux soldat lorrain. Et tout à coup, dans le recueillement d’une attente pleine d’émotion religieuse, nous entendons le bourdon de la cathédrale, le carillon lent et grave de la grosse cloche, sonnant à pleine volée.

— C’est la Mute ! nous disent les Messins.

La Mute ! Grande voix de la cité messine, qui n’a jamais sonné que dans la détresse ou dans le triomphe, pour l’annonce des deuils fraternels ou des réjouissances publiques, pour l’appel des échos lointains qui viennent à nous du fond de la légende et de l’histoire. En même temps retentissent les salves des canons qui tonnent ensemble, dans tous les forts du camp