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Ce paradoxe apparent s’éclaire facilement à la lumière des idées exposées ci-dessus : le greffon mort est une ville morte et inhabitée prête à accueillir immédiatement les habitants qui s’y présentent ; le greffon non tué au contraire possède encore dans ses cases des cellules étrangères ; la vie de celles-ci est incompatible avec celle des cellules de l’animal, car, comme l’a très bien montré Carrel dans des expériences fameuses, la substance vivante d’un individu ne peut subsister dans l’organisme d’un autre individu même d’espèce identique, sans produire sur celui-ci des phénomènes d’intoxication. Il s’ensuit que l’animal sur lequel a été fixé un greffon vivant doit d’abord se débarrasser par la phagocytose des cellules intruses ; ensuite seulement il pourra repeupler le greffon de ses propres cellules.

Si j’ose user de cette image, la différence entre l’assimilation du greffon mort et du greffon vivant est la même qui existait, aux temps révolus de la guerre, entre l’occupation par nos troupes d’une tranchée abandonnée de l’ennemi et d’une tranchée occupée par lui.

En présence de ces succès, on pouvait sans danger passer à l’expérimentation sur l’homme, c’est-à-dire aux applications chirurgicales de la méthode qui, au point de vue pratique, forment et surtout formeront demain le corollaire le plus précieux de la nouvelle découverte.

C’est ce qu’ont fait les deux savants. Dès les premières opérations pratiquées, les succès obtenus se montrent éclatants. Ils viennent en partie d’être présentés au Congrès de chirurgie, à la Société de chirurgie, à l’Académie de médecine. Chez un certain nombre de blessés à qui des éclats d’obus avaient sectionné des nerfs, on a greffé des nerfs d’animaux conservés et dévitalisés dans l’alcool. Les résultats obtenus ont été surprenants, bien que, dans certains cas, on ait eu à combler des pertes de substance dépassant un décimètre de nerf, et les blessés ont retrouvé l’usage aboli de leurs membres. Chez d’autres blessés on a remplacé pareillement des tendons sectionnés par des tendons d’animaux morts. Même résultat parfait. En particulier un blessé par éclat d’obus avait perdu tous les tendons fléchisseurs de la main. La flexion des doigts complètement infléchis dans la main était devenue impossible ; le tissu cicatriciel enlevé, on aperçut qu’il manquait de 3 à 4 centimètres de chacun des 8 tendeurs fléchisseurs des doigts. On combla les pertes de substances par la suture de huit greffes de tendons de chien tués dans l’alcool. Aujourd’hui, cet homme est complètement guéri et se sert de ses doigts comme avant la