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EDMOND ROSTAND

La nouvelle de la mort d’Edmond Rostand nous est arrivée, comme nous achevions d’imprimer les vers qu’il venait de nous donner. Ainsi le dernier labeur du poète aura été pour cette Revue, où il se plaisait à prendre ses habitudes et à se sentir devenu de la maison. Nous ne pouvons aujourd’hui que lui adresser un douloureux adieu. Nous essaierons un peu plus tard d’indiquer la place qui revient à son œuvre dans l’histoire de notre poésie dramatique. Mais dès maintenant nous tenons à en souligner le caractère essentiel : tout entière, elle est l’exaltation des plus nobles qualités de chez nous, elle chante clair et pur !

L’esprit, la tendresse, la grâce, la fantaisie, l’éloquence, c’est tout cela qui était le frisson du vers de Rostand. La générosité, la bravoure, l’esprit de sacrifice, l’humeur chevaleresque, l’amour du panache, le culte de l’idéal, voilà les sentiments dont il a fait vibrer les cœurs des milliers et des milliers d’auditeurs, sur lesquels, pendant les soirs inoubliables de Cyrano de Bergerac et de l’Aiglon, passait un vent d’héroïsme.

Aussi, il était populaire. La masse du public ne s’y était pas trompée : si délicat et raffiné que fût son art, elle l’avait adopté. Il était adoré des jeunes gens et des femmes, cortège rituel des grands poètes.

C’est lui qui, dans un temps où la littérature française s’abandonnait, envahie par la désespérance, a le premier et le plus magnifiquement réveillé notre tradition nationale. C’est lui qui, par l’ardente déclamation de Cyrano, comme par la voix grondeuse de Flambeau et par l’appel matinal du Coq gaulois, a sonné le ralliement. Il était annoncé la victoire : nous comptions sur lui pour la chanter. C’est de lui que nous attendions le poème inspiré, où quelque émouvant symbole eût fixé les traits de la France victorieuse.

Ce regret planera sur sa mémoire et nous la rendra plus chère. Son œuvre reste interrompue. Il est de ceux qui, entrés vivants dans la gloire, sont partis avant d’avoir rempli tout leur destin.


R. D.