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mais un mouvement, comme si de la main il chassait rondement les importuns et les calomniateurs. Mais s’agissait-il encore du mort ? C’était la dernière ligne du portrait de Claretie ; c’était aussi la première ligne de l’examen de conscience de Joffre.

Cet examen a été le discours même. Dans un style où les mots ont tout leur son et leur poids, le maréchal a fait la suprême leçon sur la guerre, la leçon qu’il pouvait seul faire, lui l’auteur de la péripétie. Et il a montré ce bon sens, cette clarté, cet esprit d’équilibre et de justesse, qui resteront ses traits mêmes. Il a, pour le passé et pour l’avenir, affirmé une fois de plus que la guerre ne s’improvise pas ; il a rappelé quels avantages une longue préparation donnait à l’Allemagne, quels deuils la création d’une armée encore inexercée avait coûtés à l’Angleterre. Il a fait un éloge magnifique de ces grands États-majors d’armée français, à qui l’on doit une telle part de la victoire. Dites par ce chef, ces paroles ne sont pas vaines. Avant la guerre, il y avait une tendance à croire, en France et Allemagne, que la guerre serait ce qu’on appelle une guerre de soldats, comme a été la guerre de 1859 en Italie. Plus tard, on a cru qu’elle était une guerre de matériel. Et certes la valeur incomparable du soldat français, la puissance et la nouveauté du matériel créé pendant ces quatre années, ont été des éléments essentiels de la victoire. Des soldats, le maréchal a tracé un portrait familier, tendre, délicieux. Il les a montrés dans la boue et la neige et les marais perfides, bons, accueillants, affectueux et gais, supportant les privations avec bonne humeur, faisant avec simplicité le sacrifice de leur vie, ignorants de la peur, honnêtes dans le devoir, aimant la vérité, respectant la justice, francs, naïvement braves et confiants dans la France. Mais enfin la guerre, si on veut la définir dans un seul mot, a été une guerre d’états -majors. Ils ont eu à résoudre des problèmes d’une difficulté inconnue. Sans eux, les plus belles vertus militaires des troupes eussent été paralysées. Ce n’est pas un éloge que prononce le maréchal, c’est une doctrine qu’il affirme. Et ce n’est pas seulement la compétence technique des états-majors qu’il loue, c’est leur valeur morale. A qui doit aller votre reconnaissance ? a-t-il demandé. « A ces chefs résolus et calmes qui toujours, dans les moments les plus tragiques, gardèrent intacte leur foi dans la victoire de nos armes, illustrant victorieusement la règle la plus vraie de tout l’art militaire, qui veut qu’un général soit battu alors seulement qu’il se croit battu... » Le maréchal prononce ces paroles d’une voix forte, et en l’entendant, nous évoquons tous ces journées tragiques où, dans l’angoisse universelle, il n’a jamais douté. Il poursuit :