Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la vallée de la Moselle et les champs de bataille de 1870, que, de son côté, le prince Frédéric-Charles semblait contempler, de son coin, d’un œil plein de superbe narquoise. Guillaume git, la tête couverte de terre et, couché, il semble un gigantesque cadavre : Frédéric-Charles sert de jouet à des gamins qui courent sur son corps en agitant de petits drapeaux. Quant à Frédéric III, il a perdu sa tête en la bagarre. Un Messin dit près de la statue gisant décapitée : « C’était encore le meilleur de la famille. — Allons donc, riposte, un autre impitoyable, c’est qu’il n’a presque pas régné. Il aurait été comme les autres. « Il ne faut point demander une équitable mesure et des nuances trop fines à des gens qui, près de cinquante ans ont été écrasés par ces Brandebourgeois.

Ney et Fabert sont entourés de drapeaux ; j’en rêverais plus encore ; ces héros de Lorraine, comme ceux d’Alsace, étaient le meilleur lien entre les provinces perdues et la mère patrie ; ils étaient les grands témoins, à Phalsbourg Mouton, à Strasbourg Kléber, à Colmar Rapp, ici ce soldat de Richelieu et ce soldat de Napoléon, et dans tous les cimetières, — tel ce curieux champ des morts de Neuviller où trente officiers généraux et supérieurs d’une seule génération reposent, — une légion de grands soldats de la Révolution et de l’Empire. Mais Ney et Fabert vont sous peu s’entourer de plus beaux drapeaux : ceux qui leur arrivent, décorés de leurs fourragères, des champs de bataille de France et qui dans leurs plis leur apportent l’hommage de l’éternelle Grande Armée.

À midi, la foule se met à circuler : il s’y remarque plus d’épanouissement attendri que de joie bruyante ; mais si vous alliez au fond des cœurs, vous y verriez chanter « le jour de gloire » et le plus ardent des hymnes d’allégresse. Lorsque, à cette heure même, la Société des Jeunes Ouvriers descendit du Haut-de-Sainte-Croix, faisant enfin, pour la première fois depuis le 28 octobre 1870, retentir les murs de la Marseillaise, je vis des figures convulsées et des gens pris d’un grand tremblement, Samain, qui ensuite traversa la ville avec sa Lorraine sportive toute couverte de tricolore, entraîna vers l’Esplanade des cœurs en liesse. Mais cette ville forte et pieuse attend, pour que son émoi éclate, d’autres appels : à une heure après-midi, la Mute se mettant enfin, — après ces quarante-huit ans, — à « annoncer la justice, » les yeux se tournèrent vers le ciel,