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et le voici bientôt un mauvais prêtre : « Entre ces gens et lui, la solidarité dans l’œuvre révolutionnaire crée cette liaison fragile, soupçonneuse, qui unit ensemble les complices. Mais il sent qu’on accueille en lui, non le prêtre, celui qui, progressivement, cessera de l’être. Ainsi devient-il, dès la première heure, le protégé de ceux qui ne croient pas plus à l’Église d’hier qu’à celle d’aujourd’hui. » Le dimanche, il n’a personne pour le seconder ; |ses amis de révolution ne vont pourtant pas l’accompagner à l’église ! Il sonne les cloches : il est son bedeau, sacristain, chantre ; il est tous ceux qui l’abandonnent. Et l’officiant, c’est lui. L’assistance, nulle. Ou bien, les gens qui viennent, ce ne sont pas des fidèles : ce sont des manifestants. « Et cette assistance est pire que l’entière solitude ; car ceux qui assistent au Saint Sacrifice sont venus, non pour célébrer le culte nouveau, mais pour enregistrer la proscription du culte ancien... » Quelle angoisse et quelle honte : car le serment qu’il a prêté ne l’a pas rendu athée, ni même incrédule !... Les fidèles qui refusent de le connaître, ce sont des chrétiens accomplis, sans doute ? Eh ! ce sont les gens des villages, bonnes gens, mais tout à fait capables de sottise, et d’injustice, et d’insolence. Parmi eux, c’est à qui saura le mieux brimer le Jureur. Et les femmes, les dévotes inventent les plus méchants tours. Elles lui dévastent son jardin, lui jettent de la paille dans son puits et lui fourrent du sable dans la serrure de sa porte Quand il passe, les enfants imitent le chant du coq, par une allusion blessante et gaie au reniement de saint Pierre. On fait courir des bruits détestables : qu’il a été comédien, qu’il est marié, père de famille, au surplus repris de justice. On l’insulte, on lui lance des quolibets ou des cailloux. « Sous la répétition des insultes, l’assermenté s’exaspère. Le plus souvent, il n’était que faible, la doctrine peu sûre, plus ou moins travaillé de vanité et d’envie. Il est venu avec un désir, peut être sincère, d’évangéliser les âmes ; et peut-être sa confiante crédulité s’est-elle laissé prendre de très bonne foi à la piperie de la primitive Église. La rancune des insultes éteint la petite flamme sacerdotale qui vacillait encore en lui. De médiocre, il devient mauvais et vaniteux, il devient pervers. » Le moraliste qui suppose la bonne foi chez l’homme qui a tort, le moraliste qui ne voit pas le méchant tout méchanceté, connaît la nature humaine, si mêlée, et que l’homme n’est ni ange, ni bête. Il y eut de ces jureurs qui allèrent à l’abjection : quelques-uns revinrent au bien ; des scrupules les y ramenèrent. Et plusieurs n’avaient pas su ce qu’ils faisaient.