Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

française, en remplacement de Littré, je fus chargé de lui porter les félicitations de mes camarades. Quelle était mon émotion, il est superflu de le dire, et ce fut pénétré à la fois de mon indignité, — et de mon importance, — que j’arrivai à la porte du modeste appartement qu’occupait le grand homme. Pasteur était-au milieu des siens ; il les quitta pour me recevoir ; mais je les entendais dans la pièce voisine, et cela mettait autour de la personne du savant illustre une douce atmosphère de tendresse et d’intimité familiales. Il me fit asseoir près de lui et cela me gêna un peu. L’idée qu’à part moi je m’étais faite de cette visite comportait le mode solennel. Je m’étais représenté une scène debout, le jeune homme timide et fier de sa mission, incliné dans une attitude déférente et haranguant le vieillard glorieux sous les yeux d’un auditoire invisible et présent. J’avais préparé un compliment où je crois bien qu’il y avait trop de littérature. Je le débitai avec une assurance qu’on est heureux d’avoir à vingt ans, car à soixante on en serait bien incapable. Pasteur eut la bonté de ne pas m’interrompre et même de ne tempérer son indulgence d’aucune ironie. Il voulut bien ne tenir compte que de l’hommage spontané d’une jeunesse auprès de laquelle il vivait et qu’il aimait, et il en fut touché. Avec une modestie qui n’était pas feinte, il protesta qu’il était trop récompensé pour le peu qu’il avait fait. Et comme je m’étais excusé, simple « littéraire, » de complimenter le plus grand des « scientifiques, » il m’exposa en quelques mots sa conviction qu’il n’y a pas deux méthodes, l’une pour les lettres et l’autre pour les sciences. L’unique règle, dans tous les ordres de travaux, est la soumission à l’objet, la poursuite du vrai, son expression en toute simplicité et bonne foi. Ce ne furent que quelques mots, sur un ton de bonhomie familière, mais qui empruntaient l’autorité du génie. Si je n’ai pas su profiter de la leçon, du moins suis-je resté à jamais honoré et reconnaissant d’avoir eu, pendant quelques minutes et pour toujours, un professeur de littérature qui s’appelait Louis Pasteur... Mais je dois dire que le Pasteur à l’accueil sans apprêt, à la parole un peu hésitante, dont j’ai gardé le souvenir, ne ressemble en rien au maître robuste et volontaire dont M. Guitry nous met sous les yeux l’imposante carrure.

L’auteur de la Vie de Pasteur ne nous laisse pas ignorer que le savant ne supporta pas la contradiction. Ce n’était pas chez lui susceptibilité d’amour-propre, et toute vanité personnelle lui était étrangère. Mais quand des méthodes dont il ne pouvait douter, à moins