Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes, et ce n’est ni pour le ridiculiser ni pour le diminuer, ni pour en médire, ni pour le ramener à la mesure commune et médiocre ! Mais cela est tout à fait digne de remarque, cela est neuf, original, hardi ! Vous savez comment notre théâtre a coutume de traiter notre histoire, et, si je ne craignais de déplaire ù M. Lenotre, je dirais que son bon géant de Dumas père a bien quelques-uns de ces péchés sur la conscience. C’est une de nos manies, et parmi les plus coupables, de rabaisser nos gloires nationales. Les Français ne se peignent eux-mêmes que pour se dénigrer à l’envi. Tout au contraire M. Sacha Guitry a abordé son sujet avec respect, avec dévotion. Telle était la sincérité de l’hommage rendu par le peintre à son modèle, qu’il avait, aux premières représentations, invité les Académies, les Facultés, les corps savants, les Instituts et les laboratoires. On reconnaissait au parterre, au balcon, dans les loges, des praticiens, des cliniciens, des docteurs et des professeurs, et des internes et des externes, auxquels il ne manquait que la calotte et la blouse de leur profession. Je me suis laissé dire que ces soirs-là, quand on avait besoin d’un médecin, on téléphonait au Vaudeville. Parmi les hommes de l’art, la satisfaction était générale et nul ne se plaignait, comme l’ont fait quelques délicats, qu’il y eût de l’irrévérence à faire monter Pasteur sur les tréteaux. Certes je comprends le sentiment de ces délicats et l’espèce de gène qui s’est emparée d’eux, comme la vue d’une soutane ou d’une cornette à la scène offusque, et non sans raison, les croyants. Mais il y a une force des choses. Ni eux, ni moi, nous n’empêcherons que le théâtre s’empare du personnage de Pasteur. C’est la première fois, je pense, qu’on le voit sur les planches : nous l’y reverrons et nos neveux plus souvent que nous-mêmes. La figure de Pasteur est destinée à devenir symbolique, comme celle d’un Ambroise Paré ou d’un Vincent de Paul. Dans les drames historiques de l’avenir, quand on voudra présenter au spectateur une personnification de la science bienfaisante, on fera intervenir Pasteur : tous le reconnaîtront et les mains battront d’elles-mêmes. Un Pasteur ne peut manquer de devenir légendaire. Remercions M. Sacha Guitry d’avoir compris que sa légende se confondra avec son histoire.

L’accueil fait à cette pièce sévère sur une scène de genre est-il un signe des temps ? Je le crois. L’attention du public n’a pas faibli un instant. J’ai déjà dit que l’honneur en revient pour une bonne part à la maîtrise de l’acteur principal ; mais quand nous réclamons, pour les années qui viennent, un théâtre assaini, nous comptons bien que nos