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« Mais le rapide recul de l’armée anglaise, effectué trop tôt et trop vile, avait empêché l’entrée en jeu de l’armée Maunoury dans de bonnes conditions et compromis le flanc gauche de l’armée Lanrezac : celle-ci se trouvait, dans l’après-midi du 2 septembre, au Nord-Est de Château-Thierry devant lequel se présentait, le soir même, la cavalerie allemande chargée d’attaquer les ponts.

« Dans ces conditions, accepter la bataille avec l’une quelconque de nos armées eût entraîné fatalement l’engagement de toutes nos forces, et l’armée Lanrezac se serait trouvée fixée dans une situation que la marche de la 1re  armée allemande eût rendue des plus périlleuses. Le moindre échec aurait couru les plus grands risques de se transformer en une déroute irrémédiable, au cours de laquelle le reste de nos armées aurait pu être rejeté loin du camp retranché de Paris et complètement séparé de l’armée britannique. Nos chances de succès auraient encore été diminuées par la grande fatigue des troupes qui n’avaient pas cessé de combattre et avaient besoin de combler les vides produits dans leurs rangs.

« Il fallait éviter tout accrochage décisif tant que nous n’aurions pas les plus grandes chances de succès et continuer à user l’ennemi par des offensives partielles. Le général en chef estimait ne pas pouvoir accepter trop tôt une bataille générale dans des conditions défavorables. Aussi a-t-il décidé d’attendre encore quelques jours et de prendre en arrière le champ nécessaire pour éviter l’accrochage.

« Il prescrivit, pendant ce temps, de récupérer au moins deux corps sur les armées de droite dont la mission devait être purement défensive, de recompléter et de reposer les troupes.

« SON BUT FUT DE PRÉPARER UNE OFFENSIVE NOUVELLE EN LIAISON AVEC LES ANGLAIS ET AVEC LA GARNISON DE PARIS ET D’EN CHOISIR LA RÉGION DE FAÇON QU’EN UTILISANT SUR CERTAINES PARTIES DU FRONT DES ORGANISATIONS DÉFENSIVES PRÉPARÉES, ON PUISSE ASSURER LA SUPÉRIORITÉ NUMÉRIQUE DANS LA ZONE CHOISIE POUR LE PRINCIPAL EFFORT[1]. »


Tel est le véritable document révélateur de la manœuvre, le secret intime de la pensée du chef. L’exposé est du 3 ; la bataille s’engage le 5. Du 3 au 5, il y a deux jours. Le général Joffre est décidé, plus que jamais, à l’offensive. Mais il se donne deux jours pour : 1° » choisir définitivement et organiser son terrain ; 2° attendre l’exécution complète de sa manœuvre d’Est en Ouest ; 3° obtenir la liaison avec l’armée anglaise, c’est-à-dire

  1. M. Millerand, ancien ministre de la Guerre, a donné un récit émouvant de ses relations avec le général en chef à ces heures décisives, dans sa récente conférence sur le maréchal Joffre, prononcée à la Société des Conférences le 29 janvier 1919. (Voir la Revue Hebdomadaire du 15 février.)