Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’illusion d’un succès facile, à la condition de faire vite, très vite.

Stegemann, qui a reçu les inspirations de l’État-major, est on ne peut plus affirmatif sur ce point :


Par son mouvement au delà du Grand Morin, venant de la Ferté-sous-Jouarre et de Changis, la Ire armée tombait dans la brèche béante entre l’armée Frenck et la 5e armée française, brèche qui n’était remplie que par de la cavalerie… Comme l’armée anglaise avait évacué le champ de bataille, cela semblait confirmer cette hypothèse, tandis qu’en réalité, elle était cachée derrière le rideau que formait la forêt de Crécy, si bien qu’elle s’apprêtait à faire une conversion avec son aile gauche et à chercher la liaison avec l’armée Franchet d’Esperey quand le IIe corps de von Kluck pénétra dans la brèche… … L’ennemi qu’on espérait atteindre bientôt dans sa fuite, attendait, au contraire, au Sud et au Sud-Est. Il semble bien que le Commandement allemand ignorât encore qu’au Nord-Ouest (Maunoury) et au Sud-Ouest (French), l’ennemi était à l’affût depuis le 4 septembre et qu’ainsi la brèche que l’on croyait exister entre l’armée Franchet d’Esperey et l’armée britannique n’existait pas et qu’au contraire, cette dernière armée formait l’aile droite de celle de Joffre et faisait même un crochet qui allait lui permettre l’encerclement.


Sans l’hypothèse de la « brèche, » il serait difficile de comprendre l’ordre cité ci-dessus, signé du comte Schwerin et prescrivant au IIe corps « de pousser par le cours inférieur du Grand Morin au Sud de Coulommiers et de se diriger contre le front Sud-Est de Paris. » Une pareille entreprise eût été vraiment par trop absurde, si l’on eût pensé que l’armée britannique et l’armée Franchet d’Esperey formaient une masse de manœuvre prête à tomber dans le dos du corps qui eût tenté de l’esquisser. Von Kluck est donc persuadé que l’armée anglaise a continué à se replier, qu’elle est déjà loin et qu’il va, enfin, par la brèche ouverte, saisir le flanc de la grande armée de Joffre.

Le Haut Commandement allemand, qui tient à son dispositif et qui, peut-être, a reçu de Paris des renseignements nouveaux, commence à s’inquiéter. Dans l’après-midi du 4, il essaye encore de freiner ; il veut à tout prix retenir la Ire et la IIe armées dans la région de Paris, et même son désir est que La Ire armée n’abandonne pas la ligne de l’Oise ; tout au plus doit-elle se porter sur la Marne, mais à l’Ouest de Château-Thierry, c’est-à-dire à proximité de Paris. Il presse von Bülow et von Hausen, pour qu’ils accomplissent leur mouvement vers Montmirail et vers Troyes et il retient von Kluck.