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tous enroués à force de crier : « Vive la France ! » et de chanter la Marseillaise. »

Les « entrées y s’étaient ainsi succédé sans lasser l’amour. D’ailleurs, les hauts chefs apparaissaient l’un après l’autre, présentant des physionomies si diverses qu’ils surexcitaient l’admiration de la foule sans fatiguer la curiosité attendrie. Et c’était le cas de l’Alsace-Lorraine tout entière, « Quant à notre maréchal Foch, écrit-on, il a passé comme un météore. »


L’AIR DE LA LIBERTÉ

Ceux qui n’ont point vécu ces heures ne peuvent, en dépit même des récits qui précèdent, se faire qu’une très faible idée de l’atmosphère qui, en ces derniers jours de novembre, dans les premiers de décembre, enveloppait l’Alsace-Lorraine, ses habitants, ses occupants. Avez-vous lu le Au temps de la Comète de Wells ? La bienfaisante comète, en baignant un « instant de sa miraculeuse lumière la terre livrée à la misère et au mal, soudain fait naître l’âge d’or avec une atmosphère de parfait amour. La France que, des Vosges et de la Seille, nous voyions, dans un nimbe lumineux, marcher vers le Rhin, semblait avoir fait pareil miracle : des semaines, un peuple connut dans sa plénitude la joie de vivre ou, comme ils disaient, de « revivre, » et la communiqua à ses libérateurs transportés.

Le phénomène, peut-être sans précédent à ce degré d’intensité, mérite qu’on s’y arrête. L’historien n’a pas si souvent l’occasion de s’occuper d’un peuple heureux.

Tout d’abord, disons que l’Alsace-Lorraine, en ce moment unique dans l’histoire des peuples, participait à l’état d’âme exaltant où vivait ce que, d’un vieux mot (que j’opposerai à la Barbarie), j’appellerai la Chrétienté.

Depuis le 11 novembre, la partie était gagnée pour l’Entente et son magnifique cortège de nations, dans de telles circonstances, que, pour tous, l’événement tenait du miracle. Ce n’était peut-être pas miracle qu’un grand chef de guerre, ayant, après trop d’atermoiements, reçu le commandement de tous les Alliés, les eût, en quelques mois, grâce à la vaillance des soldats et la constance des peuples, à travers d’effroyables périls et au lendemain de terribles échecs, menés finalement à la victoire. La transition cependant avait été si brusque des terribles menaces