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français. » Et dans les familles, les enfants apprennent vite « parce qu’ils ont 5 pfennigs d’amende pour chaque mot allemand qu’ils prononcent. » On m’a communiqué la lettre d’un bon petit écolier qui écrit : « Je suis content d’avoir de bonnes notes de français. On a dit qu’on va faire maintenant l’histoire en français. On m’a donné une histoire de France. Je veux bûcher pendant les vacances de Noël. »

« Liberté chérie, » celle de faire parler son cœur, — ^ enfin ! — sans contrainte et dans la langue des vieux parents. Voilà ce que le poilu apporte tout d’abord. Et puis la belle farine blanche. Car l’Alsace sauvée, libérée, est ravitaillée. « Ce que je n’oublierai jamais des Français, c’est que, dès le premier jour de leur entrée, ils nous apportèrent près de 350 000 kilos de pain blanc... Au commencement, on ne pouvait y croire ; mais quand j’ai tenu le premier morceau de pain entre mes mains, j’étais presque folle de pure joie. » « Les chers Français ont ramené le pain blanc... Riches et pauvres le mangent comme un gâteau. » Libre aux esprits mal tournés de tenir ces propos pour moins nobles. Je trouve pour mon compte que cette farine blanche apportée avec la liberté a quelque chose de symbolique en sa simplicité. Il semble que la France a convié l’Alsace-Lorraine à un banquet aux cent plats savoureux. Elle est arrivée les mains pleines de dons ; ainsi le Christ dans le désert ne répandait pas seulement les paroles de vie, mais multipliait pour ses frères le pain blanc si abondamment, que les reliefs, dit l’Evangile, emplirent douze corbeilles.

Ah ! cette France, qu’on l’aime ! La haine contre l’Allemand s’en trouve encore augmentée : ce « Prussien, » ce « Boche, » ce « Schwob, » il est le repoussoir en face de cette blanche France, le principe du mai qui toujours se dresse en face du principe du bien : « On respire une fois débarrassés de ces Boches qui ont fait tant de mal. » « Ah ! ces sales Boches qui nous ont tant tourmentés ! » « Ils avaient toujours le bon Dieu dans la gueule et le diable dans le ventre. » Les mères se réjouissent : les petits ne coifferont pas le casque à pointe. « Pour nos enfants, quel bonheur ! Je leur ai, je vous assure, gravé la haine pour les Prussiens dans leur cœur, tout petits. » Les Hohenzollern ont une mauvaise presse. J’ai dit l’effet poignant que faisait à Metz la grande fauchée opérée à travers les statues brandebourgeoises et, à Strasbourg, la chute en morceaux