Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/444

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont que des criminels, devant les êtres ou les peuples de proie.

L’amour est, selon lui, l’autre « passion noble. »

Dans l’œuvre de cet écrivain si peu soucieux de plaire, il y a une page véritablement exquise, un « caractère » qui est un roman en raccourci. En titre : Aceste ou l’amour ingénu. Est-ce sa propre histoire ? On le dirait, tant les traits sont précis, individuels, et tant Aceste lui ressemble ; on le voudrait surtout. Si, comme il est probable, il n’y a là qu’un rêve, et si le bonheur d’Aceste n’a pu appartenir à Clazomène, il semblera que celui qui faisait de tels rêves d’amour eût été bien digne de les voir se réaliser.


Un jeune homme qui aime pour la première fois de sa vie n’est plus ni libertin, ni dissipé, ni ambitieux ; toutes ses passions sont suspendues, une seule emplit tout son cœur. S’il se trouve par hasard à un concert dont la musique soit passionnée, la symphonie seule le touche sans qu’elle soit accompagnée de paroles ; on voit couler des larmes de ses yeux, et il est obligé de sortir de cette assemblée qui le gêne, pour aller s’enfermer chez lui ; il se détourne à la vue de ceux qu’il rencontre, il veut cacher ses larmes ; devant sa table, il commence une lettre, et il la déchire ; il marche à grands pas dans sa chambre, il prononce des mots entrecoupés ; il est hors de lui, on ne le reconnaît plus. C’est qu’Aceste idolâtre une femme dont il se croit aimé, il la voit en dormant, lui parle, l’écoute, et se croit écouté... Aceste est timide avec sa maîtresse, et quoique la fleur de la jeunesse soit encore sur son visage, il se trouble quand il est auprès d’elle ; il oublie en la voyant ce qu’il s’est préparé à lui dire ; mais quelquefois il lui parle sans préparation, avec ce feu et cette impétuosité que sait inspirer la plus vive et la plus éloquente des passions ; il a un torrent de paroles fortes et tendres, il arrache des larmes à cette femme qui en aime un autre ; puis, il se jette à ses pieds, et lui demande pardon des offenses qu’il ne lui a pas faites. Sa grâce et sa sincérité l’emportent enfin sur les vœux d’un rival moins aimant que lui, et l’amour, le temps, le caprice récompensent des feux si purs. Il retourne chez lui préoccupé et attendri ; les soupçons, l’envie, l’intérêt, la haine, n’ont pas de place dans un cœur touché et content ; on ne peut dépeindre la joie d’Aceste, son transport, son silence et sa distraction. Tous ceux qui dépendent de lui se ressentent de son bonheur... Il ne se pique plus que d’être bon, il pardonne à ses ennemis, il va voir un homme qui a voulu lui nuire... Quelques jeunes gens qui le connaissent se moquent de cette passion qui le dévore et surtout des belles idées qu’il a sur l’amour ; mais il leur répond : « Je n’ai point appris, Dieu merci, à mépriser l’amour... Vous croyez-vous