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ici une nouvelle société ; mais nous ne voulons pas assassiner ! Nous n’érigerons aucune dictature du sabre. Je n’en veux pas, non plus que ceux qui sont avec moi. Nous voulons simplement, par le travail, par une puissante activité créatrice, reconstruire une nouvelle Allemagne socialiste, dans laquelle il n’y aura pas d’armée, pas même de milices. » On le voit, l’homme était ou croyait être inoffensif, et il avait des côtés sympathiques. Mais sa position était fausse. Il était suspect à la fois aux spartakistes qui ne le trouvaient pas assez communiste, et aux militaristes qui ne l’estimaient pas assez Allemand. Il ne voulait pas assassiner, il devait être assassiné. Ce n’était pas la moindre de ses chimères de penser qu’on enchaîne les révolutions comme on les déchaîne et qu’on les stabilise juste au point qu’on s’est fixé. Une révolution est rarement achevée du premier coup ; elle ne va jamais seule ; elle n’est jamais stérile, en ce sens qu’elle en engendre d’autres. C’est pour elles toutes qu’a été inventé le mythe de Saturne, sauf qu’il convient de le retourner, et que, dans la série des révolutions, la fille dévore la mère. Le cadavre de Kurt Eisner n’était pas refroidi qu’à Munich, comme s’était hâtée de l’annoncer la proclamation, « une seconde révolution commençait. »

Si la première n’était bolcheviste, ni par son objet, ni par ses méthodes, celle-ci se rapprochait singulièrement du type russe. Elle copiait servilement les plans de Lénine et de Trotsky, dans la mesure où l’on peut dire de l’anarchie qu’elle « s’organise, » et puisse fournir matière à quelque plan d’État. Autant qu’il est possible de le discerner, l’arrangement de ce qui tient lieu de pouvoirs publics en Bavière serait le suivant : l’Assemblée des conseils des ouvriers, soldats et paysans constitue un Conseil national provisoire. Un Comité d’action sera chargé de la direction des affaires ; il comprendra trente-trois membres, révocables par le Conseil national. Ce Comité d’action choisira dans son sein un Comité central de sept membres, responsable devant le Comité d’action et révocable par lui. Le ministère (car il y a, en outre, un ministère, qui semble extérieur et surajouté à cette mécanique) est responsable devant le Comité central et le Conseil national provisoire. Il n’est plus question de l’Assemblée nationale, régulièrement élue, devant laquelle Eisner s’inclinait. En y regardant de plus près, ce qui frappe, c’est la grande complication de ce prétendu gouvernement populaire, qui n’est qu’un gouvernement de comités, non pas même, il s’en faut de beaucoup, le gouvernement d’une classe, mais bien la formule politique de la bande. Point de doute que Munich ne tourne à la ville des Soviets. Un seul